Choeur (Soldats) (TB)
Sur la place
chacun passe,
chacun vient, chacun va;
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens! Drôles de gens!
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens! Drôles de gens!
Drôles de gens! Drôles de gens!
Moralès [avec nonchalance]
A la porte du corps de garde,
pour tuer le temps,
on fume, on jase, l'on regarde
passer les passants.
Sur la place
chacun passe,
chacun vient, chacun va;
Choeur des soldats (TB)
Sur la place
chacun passe,
chacun vient, chacun va;
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens! Drôles de gens!
Drôles de gens que ces gens-là!
Moralès
Drôles de gens!
Choeur des soldats (B)
Drôles de gens!
Soldats (TB)
Drôles de gens!
Moralès
Drôles de gens!
Soldats (B)
Drôles de gens!
Soldats (TB)
Drôles de gens!
Depuis quelques minutes Micaëla est entrée. Jupe bleue nattes tombant sur les épaules, hésitante, embarrassée, elle regarde les soldats avance, recule, etc.
Moralès aux soldats
Regardez donc cette petite
qui semble vouloir nous parler...
Voyez! voyez!... elle tourne... elle hésite...
Choeur des soldats (TB)
A son secours il faut aller!
Moralès à Micaëla [galamment]
Que cherchez-vous, la belle?
Micaëla [simplement]
Moi, je cherche un brigadier.
Moralès [avec emphase]
Je suis là...
Voilà!
Micaëla
Mon brigadier, à moi, s'appelle
Don José... le connaissez-vous?
Moralès
Don José? Nous le connaissons tous.
Micaëla [avec joie]
Vraiment! est-il avec vous, je vous prie?
Moralès [avec élegance]
Il n'est pas brigadier dans notre compagnie.
Micaëla [désappointée]
Alors, il n'est pas là.
Note 2
Moralès
Non, ma charmante, non, ma charmante, il n'est pas là.
Mais tout à l'heure il y sera,
oui, tout à l'heure il y sera.
Il y sera quand la garde montante
remplacera la garde descendante,
Moralès, Choeur des soldats (TBB)
Il y sera quand la garde montante
remplacera la garde descendante.
Moralès [très galant]
Mais en attendant qu'il vienne,
voulez-vous, la belle enfant,
voulez-vous prendre la peine
d'entrer chez nous un instant?
Micaëla
Chez vous?
Moralès, Choeur (TB)
Chez nous!
Micaëla
Chez vous?
Moralès, Choeur (TB)
Chez nous!
Micaëla [finement]
Non pas, non pas,
grand merci, messieurs les soldats.
Moralès
Entrez sans crainte, mignonne,
je vous promets qu'on aura,
pour votre chère personne,
tous les égards qu'il faudra.
Micaëla
Je n'en doute pas, cependant
je reviendrai, je reviendrai, c'est plus prudent!
Reprenant en riant la phrase du sergeant
Je reviendrai quand la garde montante
remplacera la garde descendante,
/ je reviendrai quand la garde montante
| remplacera la garde descendante.
| Moralès, Choeur (TBB)
| Il faut rester, car la garde montante
\ va remplacer la garde descendante.
Moralès [retenant Micaëla]
Vous resterez!
Note 3
Micaëla cherchant à se dégager
Non pas, non pas!
Moralès, Choeur (TB)
Vous resterez!
Micaëla
Non pas, non pas!
/ non! non! non! non! non!
| Moralès, Choeur (TB)
| Vous resterez! Vous resterez!
\ oui, vous resterez, vous resterez!
Micaëla
Au revoir, messieurs les soldats!
Elle s'échappe et se sauve en courant.
Moralès
L'oiseau s'envole...
on s'en console!..
Reprenons notre passe-temps
et regardons passer les gens!
Choeur (TB)
Sur la place
chacun passe,
chacun vient, chacun va;
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens que ces gens-là!
Drôles de gens! Drôles de gens!
Drôles de gens que ces gens-là!
Moralès
Drôles de gens!
Choeur des soldats (B)
Drôles de gens!
Soldats (TB)
Drôles de gens!
Moralès
Drôles de gens!
Soldats (B)
Drôles de gens!
Soldats (TB)
Drôles de gens!
Moralès [presque parlé]
Attention! chut! attention!.. taisons-nous!
Voici venir un vieil époux...
oeil soupçonneux! mine jalouse!..
Il tient au bras sa jeune épouse...
L'amant, sans doute, n'est pas loin,
il va sortir de quelque coin!
Moralès, Choeur (TB)
L'amant, sans doute, n'est pas loin,
il va sortir de quelque coin!
En ce moment un jeune homme entre rapidement sur la place.
Moralès [riant]
Ah! ah! ah! ah!
Le voilà!
Choeur (TB) [riant]
Ah! ah! ah! ah!
Le voilà!
Moralès
Le voilà! ah! le voilà!
oui, le voilà! oui, le voilà!
oui, le voilà! ah! ah! Oui, le voilà!
Moralès, Choeur (TB)
Voyons, voyons comment ça tournera.
Le second couplet continue et s'adapte fidèlement à la scène mimée par les trois personnages. Le jeune homme s'approche du vieux monsieur et de la jeune dame, salue et échange quelques mots à voix basse, etc...
Moralès imitant le salut empressé de jeune
homme
Vous trouver ici, quel bonheur!
(prenant l'air rechigné du vieux mari)
Je suis bien votre serviteur!
(reprenant l'air du jeune homme)
Il salue, il parle avec grâce,
(puis l'air du vieux mari)
le vieux mari fait la grimace.
(imitant les mines souriantes de la dame)
Mais d'un air très encourageant
la dame accueille le galant.
Le jeune homme à ce moment tire de sa poche un billet
qu'il fait voir à la dame.
Note 4
Le mari, la femme et le galant font tous les trois très lentement
un petit tour sur la place.
Le jeune homme cherchant à remettre son billet doux à la dame.
Moralès
Ils font ensemble quelques pas...
Notre amoureux, tendant le bras,
[Note 5]
fait voir au mari quelque chose...
Et le mari, toujours morose,
regarde en l'air... Le tour est fait! Le tour est fait!
Car la dame a pris le billet!
La dame a pris le billet!
Le jeune homme, d'une main, montre quelque chose en l'air au vieux monsieur et,
de l'autre, passe le billet à la dame.
Et voilà! Et voilà! ah! ah!
On voit comment ça tournera,
comment ça tournera!
Moralès, Choeur (T)
On voit comment ça tournera!
On voit comment ça tournera!
Choeur (B)
On voit comment ça tournera!
On voit comment ça tournera!
Choeur (T)
Ah! ah! ah! ah!
Moralès, Choeur (B)
Ah! ah! ah! ah!
Moralès, Choeur (TB)
On voit comment ça tournera!
On entend au loin, très au loin, une marche militaire, clairons et
fifres. C'est la garde montante qui arrive. Le vieux monsieur et le jeune
homme échangent une cordiale poignée de main. Salut respectueux
du jeune homme à la dame.
Un officier sort du poste. Les soldats du poste vont
prendre leurs lances et se rangent en ligne devant le corps de garde.
Les passants à droite forment un groupe pour assister à la
parade. La marche militaire se rapproche, se rapproche...
La garde montante débouche enfin venant de la gauche et traverse le pont.
Deux clairons et deux fifres d'abord
[Note 6]. Puis
une bande de petits gamins qui s'efforcent de faire de grandes
enjambées pour marcher au pas des dragons. Aussi petits que possible
les enfants. Derrière les enfants, le lieutenant Zuniga et le brigadier
don José, puis les dragons avec leurs lances.
Choeur des Gamins
Avec la garde montante
nous arrivons, nous voilà!
Sonne, trompette éclatante!
Ta ra ta ta ta ra ta ta.
Nous marchons, la tête haute
comme de petits soldats,
marquant, sans faire de faute,
[crié]
une, deux, marquant le pas.
Les épaules en arrière
et la poitrine en dehors,
les bras de cette manière,
tombant tout le long du corps.
Avec la garde montante
nous arrivons, nous voilà!
Sonne, trompette éclatante!
Ta ra ta ta ta ra ta ta.
Ta ra ta ta ra ta ta
Ta ra ta ta ra ta ta ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ra
Choeur
Ta ra ta ta ta
Ta ra ta ta ra ta ta
Ta ra ta ta ra ta ta ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur
Ta ra ta ta ta.
Nous marchons, la tête haute
comme de petits soldats,
marquant, sans faire de faute,
[crié]
une, deux, marquant le pas.
Les épaules en arrière
et la poitrine en dehors,
les bras de cette manière,
tombant tout le long du corps.
Nous arrivons! Nous voilà!
Ta ra ta ta ra ta ta
ra ta ta ta ta ra ta ta.
La garde montante va se ranger à droite en face de la garde descendante. Dès que les petits gamins qui se sont arrêtés à droite devant les curieux ont fini de chanter, les officiers se saluent de l'épée et se mettent à causer à voix basse. On relève les sentinelles.
Zuniga [parlé]
Halte! Repos!
Mélodrame
Moralès [à don José]
Il y a une jolie fille qui est venue te demander. Elle a dit qu'elle reviendrait...
Don José
Une jolie fille?..
Moralès
Oui, et gentiment habillée: une jupe bleue, des nattes
tombant sur les épaules...
Don José
C'est Micaëla! Ce ne peut être que Micaëla.
Moralès
Elle n'a pas dit son nom.
Le lieutenant de la garde descendante
Allons! allons!
Les factionnaires sont relevés. Sonneries des clairons. La garde descendante passe devant la garde montante. Les gamins en troupe reprennent derrière les clairons et les fifres de la garde descendante la place qu'ils occupaient derrière les tambours et les fifres de la garde montante.
Choeur des gamins
Et la garde descendante
rentre chez elle et s'en va.
Sonne, trompette éclatante!
Ta ra ta ta ta ra ta ta.
Nous marchons, la tête haute
comme de petits soldats,
marquant, sans faire de faute,
[crié]
une, deux, marquant le pas.
Les épaules en arrière
et la poitrine en dehors,
les bras de cette manière,
tombant tout le long du corps.
Oui, la garde descendante
rentre chez elle et s'en va.
Sonne, trompette éclatante!
Ta ra ta ta ta ra ta ta.
[Les fifres et les clairons disparaissent. Les soldats sortent de
scène peu à peu, les gamins disparaitrons sur la dernière
note du choeur]
Ta ra ta ta ra ta ta
Ta ra ta ta ra ta ta ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ra
Choeur
Ta ra ta ta ta
Ta ra ta ta ra ta ta
Ta ra ta ta ra ta ta ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur 2
ta ra ta
Choeur 1
ta ra ta
Choeur
Ta ra ta ta ta__
Soldats, gamins, et curieux s'éloignent par le fond; choeur, fifres et clairons vont diminuant. L'officier de la garde montante, pendant ce temps, passe silencieusement l'inspection de ses hommes. Quand le choeur des gamins et les fifres ont cessé de se faire entendre, le lieutenant dit «Présentez lances... Haut lances... Rompez les rangs». [Note 7] Les dragons vont tous déposer leurs lances dans le râtelier, puis ils rentrent dans le corps de garde. Don José et Zuniga restent seuls en scène.
Dialogue
Le lieutenant
Dites-moi, brigadier?
José se levant
Mon lieutenant.
Le lieutenant
Je ne suis dans le régiment que depuis deux jours et jamais
je n'étais venu à Séville. Qu'est-ce que c'est que ce grand bâtiment?
José
C'est la manufacture de tabacs...
Le lieutenant
Ce sont des femmes qui travaillent là?..
José
Oui, mon lieutenant. Elles n'y sont pas maintenant; tout à l'heure,
après leur diner, elles vont revenir. Et je vous réponds qu'alors
il y aura du monde pour les voir passer.
Le lieutenant
Elles sont beaucoup?
José
Ma foi, elles sont bien quatre ou cinq cents qui roulent des cigares
dans une grande salle...
Le lieutenant
Ce doit être curieux.
José
Oui, mais les hommes ne peuvent pas entrer dans cette salle sans une
permission...
Le lieutenant
Ah!
José
Parce que, lorsqu'il fait chaud, ces ouvrières se mettent à
leur aise, surtout les jeunes.
Le lieutenant
Il y en a de jeunes?
José
Mais oui, mon lieutenant.
Le lieutenant
Et de jolies?
José en riant
Je le suppose... Mais à vous dire vrai, et bien que j'aie
été de garde ici plusieurs fois déjà, je n'en suis pas bien
sûr, car je ne les ai jamais beaucoup regardées...
Le lieutenant
Allons donc!..
José
Que voulez-vous?... ces Andalouses me font peur. Je ne suis pas fait
à leurs manières, toujours à railler... jamais un mot de raison...
Le lieutenant
Et puis nous avons un faible pour les jupes bleues, et pour les nattes
tombant sur les épaules...
José riant
Ah! mon lieutenant a entendu ce que me disait Moralès?..
Le lieutenant
Oui...
José
Je ne le nierai pas... la jupe bleue, les nattes... c'est le costume de
la Navarre... ça me rappelle le pays...
Le lieutenant
Vous êtes Navarrais?
José
Et vieux chrétien. Don José Lizzarabengoa, ç'est mon nom...
On voulait que je fusse d'église, et l'on m'a fait étudier.
Mais je ne profitais guère, j'aimais trop jouer à la paume...
Un jour que j'avais gagné, un gars de l'Alava me chercha querelle;
j'eus encore l'avantage, mais cela m'obligea de quitter le pays.
Je me fis soldat! Je n'avais plus mon père; ma mère me suivit
et vint s'établir à dix lieues de Séville... avec la petite
Micaëla... c'est une orpheline que ma mère a recueillie, et qui
n'a pas voulu se séparer d'elle...
Le lieutenant
Et quel âge a-t-elle, la petite Micaëla?..
José
Dix-sept ans...
Le lieutenant
Il fallait dire cela tout de suite... Je comprends maintenant pourquoi
vous ne pouvez pas me dire si les ouvrières de la manufacture sont
jolies ou laides...
José [parlé]
Voici la cloche qui sonne, mon lieutenant, et vous allez pouvoir juger
par vous-même... Quant à moi je vais faire une chaîne pour attacher
mon épinglette.
La place se remplit de jeunes gens qui viennent se placer sur le
passage des cigarières. Les soldats sortent du poste. Don
José s'assied sur une chaise, et reste là fort indifferent
à toutes ces allées et venues, travaillant à son
épinglette.
[La cloche cesse.]
Jeunes gens (T)
La cloche a sonné. Nous, des ouvrières,
nous venons ici guetter le retour;
et nous vous suivrons, brunes cigarières,
en vous murmurant des propos d'amour,
en vous murmurant des propos d'amour!
des propos d'amour, des propos d'amour!
A ce moment paraissent les cigarières, la cigarette aux lèvres. Elles passent sous le pont et descendent lentement en scène. [Note 8]
Les soldats (B)
Voyez-les! regards impudents,
mine coquette!
Fumant toutes, du bout des dents,
la cigarette.
Les cigarières (SA)
Dans l'air, nous suivons des yeux
la fumée, la fumée,
qui vers les cieux
monte, monte parfumée.
Cela monte gentiment
à la tête, à la tête,
tout doucement cela vous met
l'âme en fête!
[Note 9]
1rs dessus (S)
Le doux parler, le doux parler des amants,
2ds dessus (A)
C'est fumée!
1rs dessus (S)
leurs transports, leurs transports et leur serments,
2ds dessus (A)
C'est fumée!
1rs dessus (S)
le doux parler des amants,
2ds dessus (A)
C'est fumée!
1rs dessus (S)
leurs transports et leur serments,
2ds dessus (A)
C'est fumée!
Choeur (SA)
oui, c'est fumée, c'est fumée!
/ 2ds dessus (A)
| Dans l'air, nous suivons des yeux,
| dans l'air, nous suivons des yeux
| la fumée! La fumée, ah!
| 1rs dessus (S)
| Dans l'air, nous suivons des yeux,
| des yeux la fumée! La fumée!
\ Dans l'air
Choeur (SSAAA)
nous suivons la fumée
qui monte en tournant,
en tournant vers les cieux!
La fumée! La fumée!
Les jeunes gens (T) aux cigarières
Sans faire les cruelles,
écoutez-nous les belles,
ô vous que nous adorons,
que nous idolâtrons!
Sans faire les cruelles,
écoutez-nous les belles,
vous que nous adorons,
écoutez-nous les belles,
ô vous que nous idolâtrons!
Les cigarières (SA) reprennent en riant
Le doux parler des amants
et leurs transports et leur serments,
1rs dessus (S)
c'est fumée,
2ds dessus (A)
c'est fumée!
1rs dessus (S)
c'est fumée,
/ Les jeunes gens (TTT)
| O vous que nous aimons, écoutez-nous les belles!
| Écoutez! Écoutez! Écoutez-nous!
| Écoutez-nous les belles!
| Les cigarières (SSAAA)
| dans l'air nous suivons la fumée
| qui monte en tournant,
| en tournant vers les cieux!
\ La fumée! La fumée!
Les soldats (B)
Mais nous ne voyons pas la Carmencita!
[Entrée de Carmen]
Jeunes gens (T)
La voilà!
Soldats (B)
La voilà!
Choeur (SATB)
La voilà
voilà la Carmencita!
Entre Carmen. Absolument le costume et l'entrée indiqués par Mérimée. Elle a un bouquet de cassie à son corsage et une fleur de cassie dans le coin de la bouche. Trois ou quatre jeunes gens entrent avec Carmen. Ils la suivent, l'entourent, lui parlent. Elle minaude et caquette avec eux. Don José lève la tête. Il regarde Carmen, puis se remet à travailler à son épinglette.
Les jeunes gens (T) entrés avec Carmen
Carmen! sur tes pas nous nous pressons tous!
Carmen! sois gentille, au moins réponds-nous,
et dis-nous quel jour tu nous aimeras!
Carmen, dis-nous quel jour tu nous aimeras!
Carmen les regardant [gaîment]
Quand je vous aimerai? Ma foi, je ne sais pas...
Peut-être jamais!.. peut-être demain!..
[résolument]
Mais pas aujourd'hui... c'est certain.
/ Choeur des cigarières et jeunes gens (SATT)
| L'amour est un oiseau rebelle
| que nul ne peut apprivoiser,
| et c'est bien en vain qu'on l'appelle,
| s'il lui convient de refuser!
| Carmen
\ L'amour! l'amour! l'amour! l'amour!
Carmen
L'amour est enfant de Bohême,
il n'a jamais, jamais connu de loi,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
si je t'aime, prends garde à toi!
Choeur (cigarières, jeunes gens et soldats) (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Si tu ne m'aimes pas,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime!
Choeur (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Mais si je t'aime,
si je t'aime, prends garde à toi!
/ Cigarières et jeunes gens (SAT)
| L'amour est enfant de Bohême,
| il n'a jamais, jamais connu de loi,
| si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
| si je t'aime, prends garde à toi!
| Jeunes gens et soldats (TB)
\ L'amour est enfant de Bohême!
Choeur (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Si tu ne m'aimes pas,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime!
Choeur (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Mais si je t'aime,
/ si je t'aime, prends garde à toi!
| Choeur (SATBB)
\ à toi!
Carmen
L'oiseau que tu croyais surprendre
battit de l'aile et s'envola;
l'amour est loin, tu peux l'attendre,
tu ne l'attends plus, il est là.
Tout autour de toi, vite, vite,
il vient, s'en va, puis il revient;
tu crois le tenir, il t'évite,
tu crois l'éviter, il te tient!
[Note 10]
/ Cigarières et jeunes gens (SATT)
| Tout autour de toi, vite, vite,
| il vient, s'en va, puis il revient;
| tu crois le tenir, il t'évite,
| tu crois l'éviter, il te tient!
| Carmen
\ l'amour! l'amour! l'amour! l'amour!
Carmen
L'amour est enfant de Bohême,
il n'a jamais, jamais connu de loi,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
si je t'aime, prends garde à toi!
Choeur (cigarières, jeunes gens et soldats) (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Si tu ne m'aimes pas,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime!
Choeur (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Mais si je t'aime,
si je t'aime, prends garde à toi!
/ Cigarières et jeunes gens (SAT)
| L'amour est enfant de Bohême,
| il n'a jamais, jamais connu de loi,
| si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
| si je t'aime, prends garde à toi!
| Jeunes gens et soldats (TB)
\ L'amour est enfant de Bohême!
Choeur (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Si tu ne m'aimes pas,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime!
Choeur (SATB)
Prends garde à toi!
Carmen
Mais si je t'aime,
/ si je t'aime, prends garde à toi!
| Choeur (SATBB)
\ à toi!
Les jeunes gens (T)
Carmen! sur tes pas nous nous pressons tous!
Carmen! sois gentille, au moins réponds-nous!
réponds-nous, ô Carmen!
sois gentille, au moins réponds-nous!
Moment de silence. Les jeunes gens entourent Carmen, celle-ci les regarde l'un après l'autre, sort du cercle qu'ils forment autour d'elle et s'en va droit à don José, qui est toujours occupé de son épinglette.
Mélodrame [Note 11]
Carmen
Eh! compère, qu'est-ce que tu fais là?...
José
Je fais une chaîne du fil de laiton, une chaîne pour attacher
mon épinglette.
Carmen riant
Ton épinglette, vraiment! Ton épinglette... épinglier
de mon âme...
Elle arrache de son corsage la fleur de cassie et la lance à don José. Il se lève brusquement. La fleur de cassie est tombée à ses pieds. Eclat de rire général; la cloche de la manufacture sonne une deuxième fois. Sortie des ouvrières et des jeunes gens sur la reprise de:
Cigarières (SA) [riant entre elles]
L'amour est enfant de Bohême,
il n'a jamais, jamais connu de loi,
si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
si je t'aime, prends garde à toi!
Carmen sort la première en courant et elle entre dans la manufacture. Les jeunes gens sortent à droite et à gauche. Le lieutenant qui, pendant cette scène, bavardait avec deux ou trois ouvrières, les quitte et rentre dans le poste après que les soldats y sont rentrés. Don José reste seul.
Dialogue
José
Qu'est-ce que cela veut dire, ces façons-là?..
Quelle effronterie!..
en souriant
Tout ça parce que je ne faisais pas attention à elle!..
Alors, suivant l'usage des femmes et des chats qui ne viennent pas quand on
les appelle et qui viennent quand on ne les appelle pas, elle est venue...
Il regarde la fleur de cassie qui est par terre à ses pieds.
Il la ramasse.
Avec quelle adresse elle me l'a lancée, cette fleur...
là, juste entre les deux yeux... ça m'a fait l'effet d'une balle
qui m'arrivait...
il respire le parfum de la fleur,
Comme c'est fort!.. certainement s'il y a des sorcières,
cette fille-là en est une.
Entre Micaëla.
Micaëla
Monsieur le brigadier?
José cachant précipitamment la fleur de
cassie
Quoi?.. Qu'est-ce que c'est?.. Micaëla!.. c'est toi...
Micaëla
C'est moi!
José
Et tu viens de là-bas?..
Micaëla
Et je viens de là-bas...
c'est votre mère qui m'envoie...
José [Note 12]
Ma mère...
José [ému]
[Note 13]
Parle-moi de ma mère!
Parle-moi de ma mère!
Micaëla [simplement]
J'apporte de sa part, fidèle messagère,
cette lettre...
José [joyeux] regardant la lettre
Une lettre!
Micaëla
Et puis un peu d'argent,
Elle lui remet une petite bourse.
pour ajouter à votre traitement.
Et puis...
José
Et puis?...
Micaëla
Et puis... vraiment je n'ose...
Et puis... encore une autre chose
qui vaut mieux que l'argent! et qui, pour un bon fils
aura sans doute plus de prix.
José
Cette autre chose, quelle est-elle?
Parle donc...
Micaëla
Oui, je parlerai.
Ce que l'on m'a donné, je vous le donnerai.
Votre mère avec moi sortait de la chapelle,
et c'est alors qu'en m'embrassant:
Tu vas, m'a-t-elle dit, t'en aller à la ville;
la route n'est pas longue; une fois à Séville,
tu chercheras mon fils, mon José, mon enfant!
Tu chercheras mon fils, mon José, mon enfant!
Et tu lui diras que sa mère
songe nuit et jour à l'absent,
qu'elle regrette et qu'elle espère,
qu'elle pardonne et qu'elle attend.
Tout cela, n'est-ce pas, mignonne,
de ma part tu le lui diras;
et ce baiser que je te donne,
de ma part tu le lui rendras.
José très ému
Un baiser de ma mère!
Micaëla
Un baiser pour son fils!...
José
Un baiser de ma mère!
Micaëla
Un baiser pour son fils!...
José, je vous le rends comme je l'ai promis!
Micaëla se hausse un peu sur la pointe des pieds et donne à José un baiser bien franc, bien maternel. Don José très-ému la laisse faire. Il la regarde bien dans les yeux. Un moment de silence.
José continuant de regarder Micaëla
Ma mère, je la vois!.. oui, je revois mon village!
O souvenirs d'autrefois! doux souvenirs du pays!
/ Doux souvenirs du pays! O souvenirs chéris!
| O souvenirs! O souvenirs chéris,
| vous remplissez mon coeur de force et de courage!
| O souvenirs chéris! Ma mère, je la vois,
| je revois mon village!
| Micaëla
| Sa mère, il la revoit! Il revoit son village!
| O souvenirs d'autrefois! Souvenirs du pays!
| Vous remplissez son coeur de force et de courage!
| O souvenirs chéris! Sa mère, il la revoit,
\ il revoit son village!
José les yeux fixés sur la manufacture
[à lui-même]
Qui sait de quel démon j'allais être la proie!
[recueilli]
Même de loin, ma mère me défend,
et ce baiser qu'elle m'envoie,
[avec élan]
ce baiser qu'elle m'envoie,
écarte le péril et sauve son enfant!
Micaëla [vivement]
Quel démon? quel péril? je ne comprends pas bien...
Que veut dire cela?
José
Rien! rien!
Parlons de toi, la messagère;
Tu vas retourner au pays?
Micaëla
Oui, ce soir même... demain je verrai votre mère.
José [vivement]
[Note 14]
Tu la verras! Eh bien! tu lui diras:
que son fils l'aime et la vénère
et qu'il se repent aujourd'hui.
Il veut que là-bas sa mère
soit contente de lui!
Tout cela, n'est-ce pas, mignonne,
de ma part, tu le lui diras!
Et ce baiser que je te donne,
de ma part, tu le lui rendras!
Il l'embrasse.
Micaëla [simplement]
Oui, je vous le promets... de la part de son fils,
José, je le rendrai, comme je l'ai promis.
José
Ma mère, je la vois!.. oui, je revois mon village!
O souvenirs d'autrefois! doux souvenirs du pays!
/ Doux souvenirs du pays! O souvenirs chéris!
| O souvenirs! O souvenirs chéris,
| vous remplissez mon coeur de force et de courage!
| O souvenirs chéris! Ma mère, je la vois,
| je revois mon village!
| Je te revois, ô mon village!
| Doux souvenirs, souvenirs du pays!
| Vous remplissez mon coeur de courage,
| ô souvenirs, ô souvenirs chéris!
| Micaëla
| Sa mère, il la revoit! Il revoit son village!
| O souvenirs d'autrefois! souvenirs du pays!
| Vous remplissez son coeur de force et de courage!
| O souvenirs chéris! Sa mère, il la revoit,
| il revoit son village!
| Il te revoit, ô mon village!
| Doux souvenirs, souvenirs du pays!
| Vous remplissez son coeur de courage,
\ ô souvenirs, ô souvenirs chéris!
José
Je revois mon village!
Micaëla
O souvenirs chéris! Il revoit son village!
José
O souvenirs chéris!
/ Vous me rendez tout mon courage,
| ô souvenirs du pays!
| Micaëla
| Vous lui rendez tout son courage,
\ ô souvenirs du pays!
Dialogue
José
Attends un peu maintenant... je vais lire sa lettre...
Micaëla
J'attendrai, monsieur le brigadier, j'attendrai...
José embrassant la lettre avant de commencer à
lire
Ah! (lisant)
``Continue à te bien conduire, mon enfant! L'on t'a promis de
te faire maréchal-des-logis. Peut-être alors pourrais-tu quitter
le service, te faire donner une petite place et revenir près de moi.
Je commence à me faire bien vieille. Tu rievendrais près de moi
et tu te marierais, nous n'aurions pas, je pense, grand'peine à te
trouver une femme, et je sais bien, quant à moi, celle que je te
conseillerais de choisir: c'est tout justement celle qui te porte ma lettre...
Il n'y en a pas de plus sage ni de plus gentille...''
Micaëla l'interrompant
Il vaut mieux que je ne sois pas là!..
José
Pourquoi donc?..
Micaëla troublée
Je viens de me rappeler que votre mère m'a chargée de quelques
petits achats: je vais m'en occuper tout de suite.
José
Attends un peu, j'ai fini...
Micaëla
Vous finirez quand je ne serai plus là...
José
Mais la réponse?..
Micaëla
Je viendrai la prendre avant mon départ et je le porterai
à votre mère... Adieu.
José
Micaëla!
Micaëla
Non, non... je reviendrai, j'aime mieux cela, je reviendrai,
je reviendrai...
Elle sort.
José lisant
``Il n'y en a pas de plus sage ni de plus gentille... il n'y en a pas
surtout qui t'aime davantage... et si tu voulais...''
Oui, ma mère, oui, je ferai ce que tu désires...
j'épouserai Micaëla, et quant à cette bohémienne, avec ses fleurs qui ensorcellent...
Au moment où il va arracher les fleurs de sa veste, grande rumeur dans l'intérieur de la manufacture.
Choeur des cigarières, 2ds dessus (A) [dans la
coulisse]
Au secours!
Cigarières, 1rs dessus (S) [dans la coulisse]
Au secours!
2ds (A)
Au secours!
1rs (S)
Au secours!
Entre le lieutenant suivi des soldats.
Zuniga [parlé]
Eh bien, eh bien, qu'est-ce qui arrive?
Les ouvrières sortent rapidement et en désordre.
Choeur des Cigarières, 1rs (S)
Au secours! au secours! n'entendez-vous pas?
Cigarières, 2ds (A)
Au secours! au secours! messieurs les soldats!
Premier groupe de femmes (S)
[Note 15]
C'est la Carmencita!
Deuxième groupe de femmes (A)
Non, non, ce n'est pas elle!
Premier groupe (S)
C'est la Carmencita!
Deuxième groupe (A)
Non, non, ce n'est pas elle!
Premier groupe (S)
C'est elle! Si fait, si fait, c'est elle!
Elle a porté les premiers coups!
Deuxième groupe (A) entourant le lieutenant
Ne les écoutez pas!
Premier groupe (S) entourant le lieutenant
Ne les écoutez pas!
/ Monsieur, écoutez-nous!
| écoutez-nous! écoutez-nous!
| écoutez-nous! écoutez-nous!
| Deuxième groupe (A)
| Écoutez-nous, monsieur!
| écoutez-nous! écoutez-nous!
\ écoutez-nous! écoutez-nous!
écoutez-nous, monsieur!
Premier groupe (S)
écoutez-nous, monsieur!
Toutes les femmes (SA)
Monsieur, écoutez-nous!
2ds (A) elles tirent l'officier de leur côté]
La Manuelita disait
et répétait à voix haute,
qu'elle achèterait sans faute
un âne qui lui plaisait.
1rs (S) méme jeu
Alors la Carmencita,
railleuse à son ordinaire,
dit: Un âne, pour quoi faire?
Un balai te suffira.
2ds (A)
Manuelita riposta
et dit à sa camarade:
Pour certaine promenade,
mon âne te servira!
1rs (S)
Et ce jour-là tu pourras
à bon droit faire la fière!
Deux laquais suivront derrière,
t'émouchant à tour de bras.
Toutes les femmes (SA)
Là-dessus, toutes les deux
se sont prises aux cheveux,
toutes les deux, toutes les deux
se sont prises aux cheveux!
Le lieutenant [avec humeur]
Au diable tout ce bavardage!
Au diable tout ce bavardage!
A don José
Prenez, José, deux hommes avec vous
et voyez là dedans qui cause ce tapage!
Don José prend deux hommes avec lui. Les soldats entrent dans la manufacture. Pendant ce temps les femmes se pressent, se disputent entre elles.
Premier groupe (S)
C'est la Carmencita!
Deuxième groupe (A)
Non, non, ce n'est pas elle!
1rs (S)
Si fait, si fait; c'est elle!
2ds (A)
Pas du tout!
1rs (S)
Elle a porté les premiers coups!
Zuniga assourdi [aux soldats]
Holà!
Éloignez-moi toutes ces femmes-là!
Cigarières (S)
Monsieur!
Soldats (B) repoussent les femmes et les écartent
Tout doux!
Cigarières (A)
Monsieur!
Soldats (B)
Éloignez-vous
Cigarières (S)
Monsieur!
Soldats (B)
et taisez-vous!
Cigarières (A)
Monsieur!
Cigarières (SA)
Ne les écoutez-pas!
Soldats (B)
Tout doux! Éloignez-vous!
Cigarières (SA)
Monsieur, écoutez-nous!
Soldats (B)
Éloignez-vous!
Cigarières (SA)
écoutez-nous!
Soldats (B)
Éloignez-vous!
Cigarières (SA)
écoutez-nous!
Soldats (B)
Éloignez-vous!
Cigarières (SA)
écoutez-nous!
Soldats (B)
Éloignez-vous!
Cigarières (SA)
écoutez-nous!
/ Cigarières (A)
| écoutez-nous, monsieur!
| Soldats (B)
| Éloignez-vous
| et taisez-vous!
| Cigarières (S)
\ écoutez-nous, monsieur!
/ Cigarières (SA)
| Monsieur, écoutez-nous!
| Soldats (B)
\ Tout doux, éloignez-vous!
Les cigarières glissent entre les mains des soldats qui cherchent à les écarter. Elles se précipitent sur le lieutenant et reprennent le choeur.
Zuniga
[Note 16]
Holà! soldats!
Les soldats réussissent enfin à repousser les cigarières.
Les femmes sont maintenues à distance autour de la place par une haie
de dragons. Carmen paraît sur la porte de la manufacture
amenée par don José et suivie par deux dragons.
Note 17
1rs (S)
C'est la Carmencita
qui porta les premiers coups!
2ds (A)
C'est la Manuelita
qui porta les premiers coups!
1rs (S)
La Carmencita!
2ds (A)
La Manuelita
1rs (S)
La Carmencita!
2ds (A)
La Manuelita!
1rs (S)
Si!
2ds (A)
Non!
1rs (S)
Si!
2ds (A)
Non!
1rs (S)
Si!
2ds (A)
Non!
1rs (S)
Si!
/ Si! Si! Si!
| 2ds (A)
\ Non! Non! Non!
/ Cigarières (SAA)
| elle a porté les premiers coups!
| elle a porté les premiers coups.
| Soldats (BB)
| Tout doux! Tout doux!
| Éloignez-vous!
\ Éloignez-vous et taisez-vous!
1rs (S)
C'est la Carmencita!
/ 2ds (A)
| C'est la Manuelita
| Soldats (BB)
\ Éloignez-vous,
1rs (S)
C'est la Carmencita!
/ 2ds (A)
| C'est la Manuelita
| Soldats (BB)
\ Éloignez-vous
/ et taisez-vous, taisez-vous!
| Éloignez-vous
| 1rs (S)
| C'est la Carmencita! Carmencita!
| 2ds (A)
\ Manuelita! Manuelita!
[La place est enfin dégagée.
Les femmes sont maintenant à distance.]
Dialogue
Le lieutenant
Voyons, brigadier... Maintenant que nous avons un peu de silence...
qu'est-ce que vous avez trouvé là-dedans?..
José
J'ai d'abord trouvé trois cents femmes, criant, hurlant, gesticulant,
faisant un tapage à ne pas entendre Dieu tonner... D'un
côté il y en avait une, les quatre fers en l'air, qui criait:
Confession! confession! je suis morte... Elle avait sur la figure un X
qu'on venait de lui marquer en deux coups de couteau... en face de la
blessée j'ai vu...
il s'arrête sur un regard de Carmen
Le lieutenant
Eh bien?..
José
J'ai vu mademoiselle...
Le lieutenant
Mademoiselle Carmencita?
José
Oui, mon lieutenant...
Le lieutenant
Et qu'est-ce qu'elle disait, mademoiselle Carmencita?
José
Elle ne disait rien, mon lieutenant, elle serrait les dents et roulait
des yeux comme un caméleon.
Carmen
On m'avait provoquée... je n'ai fait que me défendre...
Monsieur le brigadier vous le dira...
à José
N'est-ce pas, monsieur le brigadier?
José après un moment d'hésitation
Tout ce que j'ai pu comprendre au milieu du bruit, c'est qu'une discussion
s'était élevée entre ces deux dames, et qu'à la suite
de cette discussion, mademoiselle, avec le couteau dont elle coupait le bout
des cigares, avait commencé à dessiner des croix de saint André
sur le visage de sa camarade...
Le lieutenant regarde Carmen: celle-ci, après un regard à
don José et un très-léger haussement d'épaules, est
redevenue impassible.
Le cas m'a paru clair. J'ai prié mademoiselle de me suivre...
Elle a d'abord fait un mouvement comme pour résister... puis elle
s'est résignée... et m'a suivi, douce comme un mouton!
Le lieutenant
Et la blessure de l'autre femme?
José
Très-légére, mon lieutenant, deux balafres
à fleur de peau.
Le lieutenant à Carmen
Eh bien, la belle, vous avez entendu le brigadier?..
à José
Je n'ai pas besoin de vous demander si vous avez dit la vérité.
José
Foi de Navarrais, mon lieutenant!
Carmen se retourne brusquement et regarde encore une fois
José
Le lieutenant à Carmen
Eh bien... vous avez entendu?..
Le lieutenant [parlé]
Avez-vous quelque chose à répondre?.. Parlez, j'attends!
Carmen, au lieu de répondre, se met à fredonner.
Carmen chantant
Tra la, la, la, la, la, la, la,
coupe-moi, brûle-moi,
je ne te dirai rien!
Tra la, la, la, la, la, la, la,
je brave tout, le feu,
le fer et le ciel même!
Le lieutenant [parlé]
Ce ne sont pas des chansons que je te demande, c'est une réponse.
Carmen chantant
Tra la, la, la, la, la, la, la,
mon secret, je le garde
et je le garde bien!
Tra la, la, la, la, la, la, la,
j'aime un autre et meurs
en disant que je l'aime!
Le lieutenant [parlé]
Ah! ah! nous le prenons sur ce ton-là!...
à José
Ce qui est sûr, n'est-ce pas, c'est qu'il y a eu des coups de couteau
et que c'est elle qui les a donnés!
En ce moment, cinq ou six femmes à droite réussissent à forcer la ligne des factionnaires et se précipitent sur la scène en criant: ``Oui, oui, c'est elle!''... Une de ces femmes se trouve près de Carmen. Celle-ci lève la main et veut se jeter sur la femme. Don José arrête Carmen. Les soldats écartent les femmes et les repoussent cette fois tout à fait hors de la scène. Quelques sentinelles continuent à rester en vue gardant les abords de la place.
Le lieutenant [à Carmen; parlé]
Eh! eh! Vous avez la main leste décidément.
aux soldats
Trouvez-moi une corde.
Moment de silence pendant lequel Carmen se remet à fredonner de la façon la plus impertinente en regardant l'officier.
Carmen
Tra la, la, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la, la, la,
Un Soldat apportant une corde; parlé
Voilà, mon lieutenant.
Le lieutenant à don José; parlé
Prenez, et attachez-moi ces deux jolis mains.
Carmen, sans faire le moindre résistance, tend en souriant
ses deux mains à Don José
C'est dommage vraiment, car elle est gentille... Mais si gentille
que vous soyez, vous n'en irez pas moins faire un tour à la prison.
Vous pourrez y chanter vos chansons de bohémienne. Le
porte-clefs vous dira ce qu'il en pense.
Les mains de Carmen sont liées. On la fait asseoir sur un
escabeau devant le corps-de-garde. Elle reste là, immobile, les
yeux à terre.
Je vais écrire l'ordre.
à don José
C'est vous qui la conduirez...
Il sort.
Dialogue
Carmen
Où me conduirez-vous?
José
A la prison, ma pauvre enfant...
Carmen
Hélas! que deviendrai-je? Seigneur officier, ayez pitié de moi!...
Vous êtes si jeune, si gentil!...
José ne répond pas, s'éloigne et revient, toujours sous
le regard de Carmen.
Cette corde, comme vous l'avez serrée, cette corde... j'ai les
poignets brisés.
José s'approchant de Carmen
Si elle vous blesse, je puis le desserrer... Le lieutenant m'a dit de
vous attacher les mains... il ne m'a pas dit...
il desserre la corde
Carmen bas
Laisse-moi m'échapper, je te donnerai un morceau de la bar lachi,
une petite pierre qui te fera aimer de toutes les femmes.
José s'éloignant
Nous ne sommes pas ici pour dire des balivernes... il faut aller
à la prison. C'est la consigne, et il n'y a pas de remèdes.
Silence
Carmen
Tout à l'heure vous avez dit: foi de Navarrais... vous êtes
des Provinces?...
José
Je suis d'Elizondo...
Carmen
Et moi d'Etchalar...
José s'arrêtant
D'Etchalar!... c'est à quatre heures d'Elizondo, Etchalar.
Carmen
Oui, c'est là que je suis née... J'ai été emmenée
par des Bohémiens à Séville. Je travaillais à la manufacture
pour gagner de quoi retourner en Navarre, près de ma pauvre mère
qui n'a que moi pour soutien... On m'a insultée parce que je ne suis
pas de ce pays de filous, de marchands d'oranges pourries, et ces coquines
se sont mises toutes contre moi parce que je leur ai dit que tous leurs
Jacques de Séville avec leurs couteaux ne feraient pas peur à un
gars de chez nous avec son béret bleu et son maquila.
Camarade, mon ami, ne ferez-vous rien pour une payse?
José
Vous êtes Navarraise, vous?...
Carmen
Sans doute.
José
Allons donc... il n'y a pas un mot de vrai... vos yeux seuls,
votre bouche, votre teint... Tout vous dit Bohémienne...
Carmen
Bohémienne, tu crois?
José
J'en suis sûr...
Carmen
Au fait, je suis bien bonne de me donner la peine de mentir...
Oui, je suis Bohémienne, mais tu n'en feras moins ce que je te demande...
Tu le feras parce que tu m'aimes...
José
Moi!
Carmen
Eh! oui, tu m'aimes... ne me dis pas non, je m'y connais! tes regards,
la façon dont tu me parles. Et cette fleur que tu as gardée. Oh!
tu peux la jeter maintenant... cela n'y fera rien. Elle est restée
assez de temps sur ton coeur; le charme a opéré...
José avec colère
Ne me parle plus, tu entends, je te défends de me parler...
Carmen
C'est très-bien, seigneur officier, c'est très-bien.
Vous me défendez de parler, je ne parlerai plus...
Elle regarde don José qui ...
Note 18
Carmen [avec intention en regardant souvent Don José
qui se rapproche peu à peu]
Près des remparts de Séville
chez mon ami Lillas Pastia,
j'irai danser la seguedille
et boire du Manzanilla,
j'irai chez mon ami Lillas Pastia.
Oui, mais toute seule on s'ennuie,
et les vrais plaisir sont à deux;
donc pour me tenir compagnie,
j'ammènerai mon amoureux!
Mon amoureux!.. il est au diable!
Je l'ai mis à la porte hier!
Mon pauvre coeur, très consolable,
mon coeur est libre comme l'air!
J'ai des galants à la douzaine;
mais ils ne sont pas à mon gré.
Voici la fin de la semaine:
qui veut m'aimer? je l'aimerai!
Qui veut mon âme? Elle est à prendre!
Vous arrivez au bon moment!
Je n'ai guère le temps d'attendre,
car avec mon nouvel amant
près des remparts de Séville,
chez mon ami Lillas Pastia,
j'irai danser la seguedille
et boire du Manzanilla,
dimanche, j'irai chez mon ami Pastia!
José
Tais-toi, je t'avais dit de ne pas me parler!
Carmen [simplement]
Je ne te parle pas, je chante pour moi-même,
je chante pour moi-même!
Et je pense! il n'est pas défendu de penser!
Je pense à certain officier,
je pense à certain officier qui m'aime
et qu'à mon tour, oui, qu'à mon tour
je pourrais bien aimer!
Note 20
José [ému]
Carmen!
Carmen
Mon officier n'est pas un capitaine,
pas même un lieutenant, il n'est que brigadier;
mais c'est assez pour une bohémienne
et je daigne m'en contenter!
José déliant la corde qui attache les mains de
Carmen
Carmen, je suis comme un homme ivre,
si je cède, si je me livre,
ta promesse, tu la tiendras,
ah! si je t'aime, Carmen, Carmen, tu m'aimeras!
Note 21
Carmen
Oui.
José
Chez Lillas Pastia,
Carmen
Nous danserons
José
tu le promets!
Carmen
la seguedille
José
Carmen...
Carmen
En buvant du Manzanilla,
José
Tu le promets...
Carmen à peine chante, murmuré
ah! Près des remparts de Séville,
chez mon ami Lillas Pastia,
nous danserons la seguedille
et boirons du Manzanilla,
tra la la la la la la la la la la
tra la la la la la la la la la la la.
Carmen va se replacer sur son escabeau, les mains derrière le dos. Rentre le lieutenant.
Le lieutenant [à Don José]
Voici l'ordre; partez, et faites bonne garde.
Carmen bas à José
En chemin je te pousserai,
je te pousserai aussi fort que je le pourrai;
laisse-toi renverser... le reste me regarde!
Note 22
Elle se place entre les deux dragons. José à côté d'elle. Les femmes et les bourgeois pendant ce temps sont rentrés en scène toujours maintenus à distance par les dragons... Carmen traverse la scène de gauche à droite allant vers le pont...
Carmen [fredonnant et riant au nez de Zuniga]
L'amour est enfant de Bohême,
il n'a jamais, jamais connu de loi;
si tu ne m'aimes pas, je t'aime;
si je t'aime, prends garde à toi!
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas, je t'aime!
Mais si je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi!
En arrivant à l'entrée du pont à droite, Carmen pousse José qui se laisse renverser. Confusion, désordre, Carmen s'enfuit. Arrivée au milieu du pont, elle s'arrête un instant, jette sa corde à la volée par-dessus le parapet du pont, et se sauve pendant que sur la scène, avec de grands éclats de rire, les cigarières entourent le lieutenant.
Rideau