ALPHONSE ROYER & GUSTAVE VAEZ / GAETAN DONIZETTI OperaGlass
Lucie de Lammermoor


                  TROISIÈME PARTIE

      Une galerie de communication entre les appartements du
       château d'Asthon. --  Au fond, les jardins illuminés.

                 SCÈNE PREMIÈRE

               CHOEUR, dans la coulisse.

               Entourons de nos voeux
                  La jeune épouse;
               Des flammes de leurs yeux,
                  Nuit, sois jalouse.
               Nuit, sur l'heureux Arthur                        5
                  Ferme ton voile,
               Et de ton front d'azur
                  Éteins l'étoile.
    Pendant ce choeur, Gilbert arrive par le fond; il traverse
       le théâtre, entre dans un salon latéral et reparaît
       bientôt avec Asthon.

                     SCÈNE II

                   ASTHON, GILBERT.

                       GILBERT.
        Oui, monseigneur, à la petite porte
        De votre parc un homme vous attend.                     10
                       ASTHON.
     Eh bien! que me veut-il?
                       GILBERT.
                            D'un ton fort rebutant,
        A ma demande il répondit: « Qu'importe,
              « Lord Asthon a-t-il peur? »
     Entre nous, l'inconnu m'a l'air de sombre humeur.
                       ASTHON.
      Tu ne le connais pas?
                       GILBERT.
                          Sous les plis de sa cape              15
     Et sous un large feutre, aux yeux sa mine échappe.
                       ASTHON.
     Qu'il vienne.
                A part.
                   Un vague espoir...
         Un homme paraît enveloppé d'un manteau, un feutre
           rabattu sur les yeux; il s'arrête au fond du théâtre.
                       GILBERT.
                                   Il était sur mes pas,
     Le voilà...
                  ASTHON, à Gilbert.
               Laisse-nous, mais ne t'éloigne pas.
                                         Gilbert sort.

                    SCÈNE III
           ASTHON, EDGARD, jetant son manteau.

                        Duo.

                       ASTHON.
           Edgard!
                       EDGARD.
                  Oui, moi, ton juge aussi,
           A me voir tu devais t'attendre.                      20
                       ASTHON.
           A ma merci tu viens te rendre?
                       EDGARD.
       Peut-être...
                       ASTHON.
                   Enfin, qui te ramène ici?
                       EDGARD.
            Souviens-toi qu'en ce domaine,
            D'où me chasse encor ta haine,
            En seigneur j'ai commandé.                          25
            Le blason de ta famille
            Sur le mien s'étale et brille,
            Mais mon droit n'a point cédé,
            Et ma vengeance endormie
            Veut enfin être assouvie.                           30
                       ASTHON.
          Je ne puis, il faut sans retard
               son époux mener Lucie.
                    EDGARD, à part.
           Chaque parole est un poignard.
             O torture! ô jalousie!
                       ASTHON.
           Chez son époux...
                       EDGARD.
                           Tais-toi! tais-toi!                  35
                       ASTHON.
                   Ecoute-moi.
             Le matin, belle et joyeuse,
             De son destin glorieuse,
             Elle priait à l'autel.
             Maintenenant la jeune épouse,                      40
             Que chacune ici jalouse,
             D'un regard rend grâce au ciel
             Va, ta colère jalouse
             Fait au glaive un fol appel.
                       EDGARD.
           J'aurai ton sang.
                       ASTHON.
                            Menaces vaines.                     45
                Pour terminer nos haines,
                J'accepte ton défi.
                Qu'avec ton nom s'efface
                Ta mémoire et ta race!
                Va, sur la terre passe,                         50
                Disparais dans l'oubli!
                       EDGARD.
             Tremble! pour venger mon père,
           Je t'étendrai dans la poussière.
                       ASTHON.
        Toi!
                       EDGARD.
              Moi. Ton heure?
                       ASTHON.
                         Eh bien! dans un moment.
              Déjà l'aurore brille.                             55
                       EDGARD.
              Où?
                       ASTHON.
                Près du monument
           Où repose ta famille.
                       EDGARD.
         J'y vais.
                       ASTHON.
                 Choisis une tombe à ton gré.
                       EDGARD.
              Oui, mais je t'y plongerai.
                      ENSEMBLE.
                 Soleil! sur l'arène                            60
                 Où s'arme la haine
                 Surgis et promène
                 Ton disque de feu.
                 Fantôme livide
                 D'un père! viens, guide                        65
                 Mon glaive, préside
             Au jugement de Dieu.
                       EDGARD.
             A mes pieds je vais t'éteindre.
                       ASTHON.
             Ce jour te sera fatal.
                       EDGARD.
               Ne te fais pas attendre.                         70
                       ASTHON.
                 Je quitte le bal.
                      ENSEMBLE.
                 Sers-lui de suaire.
                 Sanglante poussière;
                 Sans croix, sans prière,
               Qu'il meure sous mon pié.                        75
                 Que, faute du glaive,
                 Le poignard achève,
                 Son oeuvre, sans trève,
                 Ni grâce, ni pitié.
                                       Ils sortent.

                     SCÈNE IV

         LES SEIGNEURS et LES DAMES invités à la fête,
             venant du jardin et des salles voisines.

                       CHOEUR.
             Elle a quitté ces lieux,                           80
                 La jeune épouse;
             Des flammes de leurs yeux
                 Nuit, sois jalouse.
             Nuit, sur l'heureux Arthur
                 Ferme ton voile,                               85
             Et de ton front d'azur
                 Eteins l'étoile.
             Le ciel pâlit déjà,
                 Dansons encore;
                 Pour nous l'aurore                             90
                  Trop tôt viendra.

                     SCÈNE V

                LES MÊMES, LE MINISTRE.

                     LE MINISTRE.
           Malheur! malheur! destin horrible!
                      LE CHOEUR.
             Pourquoi ce cri de malheur?
                     LE MINISTRE.
           Lucie...
                      LE CHOEUR.
                  Achevez.
                     LE MINISTRE.
                              Nuit horrible!
                      LE CHOEUR.
           Dissipez notre frayeur.                              95
                     LE MINISTRE.
    Dans ses appartements à peine retirée,
    Saisissant un poignard, la raison égarée,
    D'un coup mortel Lucie a frappé son époux.
        Arthur est mort tendant les bras vers nous.
                      LE CHOEUR.
            Hymen funeste! ô sort étrange!                     100
            Déjà la joie en deuil se change;
            De leur ivresse un mauvais ange,
            L'enfer lui-même était jaloux.
                     LE MINISTRE.
            La haine, hélas! creusa l'abîme
            Où s'engloutit cette maison.                       105
                      LE CHOEUR.
            La haine, hélas! creusa l'abîme
            Où s'engloutit cette maison.
                     LE MINISTRE.
            Ciel! pardonne à Lucie un crime
            Que n'a point commis sa raison.
                      LE CHOEUR.
            Le malheur détruit sa raison.                      110
            Dieu lui pardonnera son crime.
                     LE MINISTRE.
       Elle s'avance, hélas! pauvre victime.

                     SCÈNE VI

    LES MÊMES, LUCIE, accourant, ses cheveux sont déroulés.
                      ses yeux hagards.

                        LUCIE.
    Mon nom s'est fait entendre au milieu de vos chants,
       C'était sa voix si chère et si connue...
              Edgard! je te suis rendue.                       115
    Viens! je me suis soustraite au pouvoir des méchants.
              Auprès de la fontaine
            Viens t'asseoir à l'écart.
        Elle croit prendre la main d'Edgard, et se diriger vers
          la fontaine; tout à coup elle s'arrête épouvantée.
       O ciel! là-bas... là... quel spectre se traîne!
       Il nous sépare! hélas! Fuyons, fuyons, Edgard!...       120
       Elle oublie son effroi; une pensée riante se peint dans
          ses yeux.
    Le chant de la fauvette au fond des bois résonne!...
                 Tressons ma couronne...
    Quelle douce harmonie! elle descend du ciel...
            C'est l'hymne des noces... -- L'autel
              Pour nous s'apprête... O délice!                 125
    Le bonheur dans mon âme a versé son calice.
        L'autel rayonne... un doux parfum dans l'air.
            Se respire. Voici le prêtre.
            A toi ma vie, et tout mon être!
    Conduis-moi par la main, ô mon Edgard si cher!             130
                 LE MINISTRE et LE CHOEUR.
           D'un Dieu vengeur, que son bon ange
                  Apaise le courroux.
                        LUCIE.
                  L'azur sans mélange
                  Vous brillerez pour nous,
                  De mon bonheur un ange                       135
                  Du ciel serait jaloux.
                     LE MINISTRE.
               Asthon s'avance.

                    SCÈNE VII

                  LES MÊMES, ASTHON.

                       ASTHON.
                                Dites-moi...
               Cette affreuse nouvelle?...
                     LE MINISTRE.
           N'est que trop vraie!
                       ASTHON.
                               O nuit d'effroi!...
               Ma soeur... toi, criminelle!                    140
                     LE MINISTRE.
      Plains-la! tu vois dans quel funeste état...
                LUCIE, croyant voir Edgard.
 Il parle... il m'interroge, et moi, je dois me taire.
                Montre un front moins sévère;
            C'est vrai, j'ai signé ce contrat...
        Mais... mais...
                Portant la main à son front avec douleur
                        Ma tête!... O ciel! dans sa colère,    145
                Il jette mon anneau...
                Il me maudit! Mon frère,
              C'est toi qui fus mon bourreau.
                Je ne suis point parjure,
                Edgard, je te le jure.                         150
 Non, je t'aimai toujours, toujours, et t'aime encor,
                  De tout parjure
                  Mon âme est pure,
                  Je t'aime encor.
                       ASTHON.
                  C'est moi, Lucie,                            155
             Ton frère...
                       LUCIE.
                       Défends ta vie,
                    Mon trésor!

                        Air.

            Je vais loin de la terre
            Au séjour de la lumière,
            Où monte la prière,                                160
            Où nous conduit la foi.
            Là, plaintives étoiles,
            Brillant sur toi, mes yeux,
            Des nuits perçant les voiles,
            Te souriront aux cieux.                            165
                       ASTHON.
            Fatalité cruelle!
            Tout est perdu pour moi.
                       LUCIE.
            Ma mère aux cieux m'appelle,
            Attends! je viens à toi!
            Je vais loin de la terre, etc.                     170
    Après cette reprise, Lucie tombe épuisée dans les bras
       de ses femmes. -- Asthon parle à quelques seigneurs,
       qui témoignent par un geste qu'ils ont compris. Ils
       sortent par le fond. -- La toile tombe.



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4 Jan 2005