CAMILLE DU LOCLE, CHARLES NUITTER / GIUSEPPE VERDI |
OperaGlass Libretto |
AÏDA
OPERA IN QUATRE ACTES
PAROLES FRANÇAISES DE
C. DU LOCLE & CH. NUITTER
MUSIQUE DE
G. VERDI
DISTRIBUTION
Le Roi . . . . . . . . . . . . . . . Basse
Amneris, fille du roi . . . . . . . . . . Mezzo-sopr.
Aïda, esclave éthiopienne . . . . . . . . . Soprano
Radamès . . . . . . . . . . . . . . . Ténor
Ramphis . . . . . . . . . . . . . . . Basse
Amonasro, père d'Aïda . . . . . . . . . . Baryton
Un Messager . . . . . . . . . . . . . Ténor
L'action se passe à Memphis et à Thèbes à l'époque
de la puissance des Pharaons.
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
Salle dans le palais du roi, à Memphis.
A droite et à gauche s'étendent d'immenses colonnades, au milieu desquelles
se dressent les statues des dieux. — Au fond, à travers de vastes pylônes,
on aperçoit les temples, les palais de Memphis et les Pyramides.
Ramphis entre suivi de Radamès
RAM. Oui, l'on prétend que l'Éthiopie entière
Sur les rives du Nil ose porter la guerre
Thèbes est menacée! — Avant peu, je saurai
Si ce qu'on dit est vrai.
RAD. Avez-vous consulté les dieux?
RAM. C'est Isis même
Qui de nos défenseurs nomma le chef suprême.
RAD. Ah! quelle gloire!…
RAM. [regardant fixement Radamès]
Il est jeune! il est valeureux!
Je vais porter au roi l'arrête des cieux! [il sort]
RAD. Si j'étais ce soldat! O sort auquel j'aspire!
Si je povais conduire
Au combat nos guerriers!
Être vainqueur! rentre à Memphis dans ma gloire,
A toi, chère Aïda, consacrer mes lauriers…
Disant: «Tu m'inspira! je te dois la victoire!»
O céleste Aïda! toi dont la grâce
Que rien n'efface
Sait tout charmer,
A toi mon âme est enchaînée,
Ma destinée
Est de t'aimer!
Qu'Isis m'entende,
Que je te rende
Ton beau pays, tes jours heureux.
Que je te donne
Une couronne,
Un sceptre d'or digne des dieux!
Radamès — Amneris
AMN. Dans tes regards quelle ivresse nouvelle!
Quelle noble fierté sur ton front étincelle!
Combien serait heureux
Le destin d'une femme,
Dont l'aspect dans tes yeux
Saurait faire briller tant de joie et de flamme.
RAD. D'un vain rêve le charme avait séduit mon âme
Isis a désigné le chef que nos soldats
Pour triompher, bientôt, suivront dans les combats!…
Ah! quel honneur!… si j'y pouvais prétendre!…
AMN. Quelque autre rêve encore et plus doux et plus tendre
Ne te charme-t-il pas?…
N'as-tu donc pas de désirs… d'espérance?…
RAD. [à part] O dieux! quelle souffrance!
Que dit-elle?… malheur!…
Malheur! si de mon âme
Elle a surpri la flamme,
Oui, c'est une autre femme,
Qui règne dans mon c½ur!
AMN. [à part] Malheur! si dans son âme
S'allume une autre flamme!
Si j'ai pu lire dans son c½ur
Sur eux trois fois malheur!
Les Mêmes, Aïda.
RAD. [apercevant Aïda] Elle!
AMN. [l'observant] Il se trouble! et, le front pâle,
Comme il la regarde! Aïda!
Peut-être ma rivale,
C'est elle!… la voilà?
[Haut, s'approchant d'Aïda]
Viens! Aïda! viens sans effroi!
Tu n'es pas ma captive.
Parle! d'où viens que je te voi
Auprès de moi craintive?
Tu pleures!… dis-moi tes secrets:
Dis-moi d'où naissent tes regrets?
AÏDA Hélas! déjà l'heure a sonné!…
Un peuple armé s'assemble.
Pour mon pays infortuné,
Pour moi, pour vous, je tremble.
AMN. Ne cache rien! n'est-il pour toi
D'autre sujet d'effroi?…
[Aïda baissant les yeux, cherche a dissimuler son trouble.]
RAD. [à part, regardant Amneris]
Je crains d'une âme altière
La haine et la colère,
Si ce profond mystère
Doit paraître au grand jour!
AMN. [à part, regardant Aïda]
Tremble, c½ur faux et traître!
Que mon ½il ne pénètre
Un secret qui peut-être
Va paraître au grand jour!
AÏDA [à part] Oh! non! non! la patrie
N'est pas seule chérie
Dans mon âme meurtrie
Par un fatal amour!
Les Mêmes, Le Roi, précédé de ses Gardes, et suivi de Ramphis;
puis des Ministres, des Prêtres, des Officier, un Officier du
Palais, puis un Messagger.
LE ROI A l'heure du danger
Votre roi fait appel à ses sujets fidèles.
De l'Éthiopie arrive un messager,
Il nous apprend d'importantes nouvelles.
Vous l'entendrez. [A un officier]
Qu'il vienne devant moi.
LE MESSAGER [introduit par l'officier]
L'Égypte a vu profaner ses frontières
Par des tribus barbares!… Sur nos terres
Leur main porta le meurtre et l'incendie, et fières
De leurs premiers succès, semant l'effroi,
Elles marchent déjà sur Thèbes!
TOUS Quelle audace!
MESS. Un chef vaillant qui ne fit jamais grâce
Est à leur tête: Amonasro!
TOUS Le Roi!
AÏDA [à part] Mon père!
MESS. Thèbes s'arme, et bientôt ses cent portes
Vont lancer nos soldats
Pour arrêter ces barbares cohortes!
LE ROI Oui! guerre à mort! courons tous aux combats!
TOUS Guerre! guerre implacable!
Guerre terrible! inexorable!…
LE ROI [s'approchant de Radamès]
Que ta volonté salute, Isis soit proclamée!…
Ta voix nomma le chef de notre armée:
Radamès!
TOUS Radamès!
RAD. Je rende grâce aux dieux!
AÏDA [à part] Je tremble!
AMN. [à part] Il part!
RAD. Le ciel comble mes v½ux!
LE ROI [à Radamès]
Au temple de Vulcain, viens chercher sous la crypte
L'armure consacrée et cours venger l'Égypte!
O guerriers, sur ce rivage [Aux soldats]
Déployez votre courage,
Que résonne un cri de rage
Guerre et mort à l'étranger!
RAM. O déesses fortunées!
Nos fragiles destinées
Dans vos mains sont enchainées.
Aidez-nous à nous venger!
LES OFFICIERS et LES MINISTRES
On verra sur ce rivage
Éclater notre courage,
Que résonne un cri de rage,
Guerre et mort à l'étranger!
AÏDA [à part] Je ne sais pour qui je pleure…
Faut-il qu'il vive ou qu'il meure?
Moi, l'aimer… quand à cette heure
C'est l'ennemi, l'étranger!
RAD. A mon âme se révèle
La victoire la plus belle,
Quand la gloire nous appelle
Guerre et mort à l'étranger!
AMN. [présentant une bannière à Radamès]
De ma main, ô chef suprême,
Du pouvoir reçois l'emblème,
D'un héros que chacun aime,
Qu'il détourne le danger.
PRÊT. Gloire aux dieux dont la puissance
Va guider votre vaillance,
Quelle soit notre espérance
Et nous aide à nous venger!
TOUS Guerre implacable et mort à l'agresseur!
AMN. [à Radamès] Pars et reviens vainqueur!
TOUS Vers nous reviens vainqueur!
[Ils sortent tous, moins Aida]
AÏDA Vers nous reviens vainqueur!
Ma lèvre a prononcé cette parole impie!
Quoi! lui, vainqueur d'un père armé pour m'arracher
A mes tyrans! me rendre une patrie,
Un trône, et le grand nom qu'ici je dois cacher!
Quoi! vainqueur de mes frères!…
Le verrai-je, les mains teintes d'un sang chéri,
Triomphant, acclamé par nos fiers adversaires,
Traînant après son char mon père… un roi!… flétri.
Du poids des fers meurtri!
Que cette parole
Loin de moi s'envole.
Qu'Aïda console
Un père adoré!
Périsse la race
D'un peuple abhorré!
Ah dieux! Est-ce moi qui menace!…
Et mon amour!… Oh! non!…
Puis-je oublier cette vive tendresse,
Qui de l'esclave, ainsi qu'un gai rayon,
Charmait la détresse!…
Moi! demander la mort de Radamès!…
De celui que j'adore!…
Ah! fut-il donc jamais
Tourment semblable au feu qui me dévore?
Ces noms sacrés et d'époux et de père,
Ne puis-je donc, hélas! les murmurer?
Pour l'un, pour l'autre, en ma douleur amère,
Je ne voudrais que prier et pleurer.
Mais la prière est, hélas! un blasphème,
Mais les soupirs, les pleurs sont criminels,
Et je n'ai plus qu'un refuge suprême,
La froide mort et ses dons éternels!
Grâce! grands dieux! c'est trop souffrir!
Dans ma douleur plus d'espérance,
Fatal amour, triste démence!…
Brise mon c½ur, fais-moi mourir. [Elle s'éloigne.]
DEUXIÈME TABLEAU
L'intérieur du temple de Vulcain à Memphis
Une lumière mystériuese vient d'en haut. Une longue file de
colonnes se perd dans les ténèbres. Au milieu de la scène
s'élève l'autel, surmonté des emblèmes sacrés. Dans les
trépieds d'or brûlent des parfums.
Prêtres et Prêtresses, Ramphis, puis Radamès
Radamès est au pied de l'autel. On entend dans l'intérieur
du temple, le chant des prêtresses accompagné par les harpes.
CH¼UR DES PRÊTRESSES [au dehors]
Suprême Phtà! du monde,
Toi, l'esprit créateur,
Ma voix t'implore!
—
Immense Phta, du monde,
Toi, l'esprit protecteur,
Ma voix t'implore!
—
O toi, source féconde
Du feu pur et brillant
Nous t'implorons!
—
Toi qui tiras la terre,
L'eau, le ciel, du néant
Nous t'implorons!
—
Toi le fils et le père
De ton être divin,
Nous t'implorons, de la nature entière
Toi la vie et la fin.
[Radamès est introduit sans armes. Pendant qu'il se dirige
vers l'autel, les prêtresses exécutent la danse sacrée.
On tend un voile d'argent sur la tête de Radamès]
RAM. Mortel aimé des dieux, notre patrie
Remet à toi ton sort,
Ce glaive saint que le ciel te confie
Pour l'ennemi pliant sous ton effort
Est l'effroi, la foudre, la mort!
[Se tournant vers la statue du dieu]
O toi, dieu tutélaire
De cette noble terre,
Daigne étendre la main d'un père
Sur ce sol adoré.
RAD. Toi, l'arbitre sévère
Du sort de toute guerre,
Rends puissante et prospère
La noble Égypte au sol sacré.
[Pendant que Radamès reçoit les armes consacrées,
les prêtresses et les prêtres reprennent l'hymne
religieux et la danse mystique.]
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE PREMIÈRE
Une salle dans l'appartement d'Amneris.
Amneris est entourée d'esclaves qui la parent pour la fête
triomphale. De jeunes esclaves maures agitent des éventails
de plumes.
CH¼UR Au son des chants de guerre
Il vient, le chef vaillant.
Moins prompt est le tonnerre.
Le jour est moins brillant.
Tressons pour sa couronne
Les roses, le laurier.
Qu'un chant d'amour résonne
Écho d'un chant guerrier!
AMN. Ah! viens! toi que j'adore!
Tu vis, je te revois!
CH¼UR Où donc est cette armée
Qui semait la terreur?
Tout fuit, vaine fumée,
Au souffle du vainqueur.
Le prix de la victoire
Est prêt à ton retour.
A qui sourrit la gloire
Bientot sourrit l'amour.
AMN. Viens! que j'entende encore
Le doux son de ton voix.
[Danses des petits escalves maures]
Mais silence! Aïda s'avance; la voilà.
Les siens ont succombé; sa douleur m'est sacrée.
[sur un signe d'Amneris, les esclaves s'éloignent]
A son aspect un doute affreux m'a déchirée!… [l'observant]
Ce mystère fatal bientôt s'éclaircira.
Amneris — Aida.
AMN. [à Aïda]
La fortune te traite en ennemie.
Pauvre Aïda! Le poids d'un destin rigoureux
Je le partage! A toi ma seule amie,
Parle sans contrainte; — je veux
Te voir heureuse!
AÏDA Heureuse!… ah! puis-je l'être
Loin du pays natal, seule et sans rien connaître
Du destin de mon père et des miens.
AMN. Je te plains
Mais à tous nos chagrins
Dieu laissa l'espérance.
Seul, quelque jour le temps calmera ta souffrance,
Et plus encore… un dieu puissant! l'amour!
AÏDA [à part, vivement émue]
L'amour! l'amour! il tue, enivre,
Bonheur divin, tourment cruel,
Dans ces douleurs je me sens vivre,
Un seul regard m'ouvre le ciel!
AMN. [regardant fixement Aïda]
Quelle pâleur! quel trouble extrême!
Et quelle fièvre dans son c½ur!
Je connaîtrai celui qu'elle aime,
Je saurais d'où vient sa douleur!
Dis-moi quelle tristesse, [à Aida]
Chère Aïda, t'oppresse.
Que toute crainte cesse,
Ouvre ton âme à ma tendresse,
A quelqu'un des soldats
De cette lutte ardente
Ton âme impatiente,
Dis-moi, ne rêvait-elle pas?
AÏDA Qu'entends-je?…
AMN. A tous le sort
N'a pas été contraire,
Si notre chef est mort,
Frappé dans cette guerre…
AÏDA Que veux-tu dire? jour d'horreur!
AMN. Oui! Radamès perdit la vie.
AÏDA Sort affreux!…
AMN. Toi! son ennemie…
AÏDA O jour d'éternelle douleur!
AMN. Les dieux t'ont bien vengée!
AÏDA Ah! leur colère
Me poursuit sans repos!
AMN. Tremble! car dans ton c½ur
J'ai lu! tu l'aimes!… sois sincère!
Un mot encore, un seul mot désormais
Regarde-moi! je t'ai trompée, et Radamès…
Il vit…
AÏDA [avec exaltation et tombant à genoux]
Ah! dieux suprêmes!…
AMN. [avec fureur]
Peux-tu mentir encor!… oh! oui! tu l'aimes!
Je l'aime aussi! n'ignore rien!
Je suis ta rivale!
Fille des Pharaons!
AÏDA Toi! ma rivale! Eh bien…
Je suis aussi… [s'arrêtant]
Que dis-je! ô parole fatale,
Pour moi pardon! ah! prends pitié de ma douleur!
C'est vrai!… je l'aime avec ardeur.
Tu regnes fière
Dans cette cour,
Je n'ai sur terre
Que mon amour.
AMN. Ah! tremble, esclave
Crains mon courroux!
Si ton c½ur brave
Mon c½ur jaloux,
A ma puissance
Tout doit céder,
Et la vengeance
Ne peut tarder!
[On entend au dehors des chants de guerre]
A me suivre, allons, sois prête,
Qu'on nous voie à cette fête
Toi, courbant bien bas la tête
Moi, sur le trône des rois!
AÏDA Ah! pitié! sois moins sévère,
Pitié! tu vois
L'excès de ma misère!
Vis et règne! la colère
Dans ton c½ur se calmera,
Car la flamme qui t'offense
Dans la tombe s'éteindra.
AMN. Viens! suis-moi!… je sais d'avance
Qui des deux l'emportera. [Elle sort]
CH¼UR On a vu sur ce rivage [au dehors]
Éclater notre courage,
Que résonne un cri de rage…
AÏDA [seule]
Grâce, grand dieux! c'est trop souffrir:
Pitié! pitié!… plutôt mourir.
DEUXIÈME TABLEAU
Une des entrées de la ville de Thèbes.
Groupes de palmiers — A droite le temple d'Ammon; à gauche un
trône surmonté d'un dais de pourpre. Au fond une porte triomphale.
Le roi entre, suivi des prêtres, capitaines, etc., puis entre
Amneris avec Aïda et les esclaves. Le roi va s'asseoir sur
le trône. Amneris prend place à la gauche du roi.
LE PEUPLE Gloire à l'Égypte, au noble roi
Que le Delta révère!
Isis, que la prière
S'élève jusqu'à toi!
Vois en tous lieux, triomphateur,
Ta gloire proclamée…
Que de fleurs soit semée
La route du vainqueur.
LES FEMMES Aux palmes triomphantes,
Aux roses odorantes
Mêlez les fleurs brillantes
Du lotus sans pareil;
Que s'enlacent nos rondes
En mystères fécondes
Comme tournent les mondes
Autour du chaud soleil.
LES PRÊTRES Isis sourit aux c½urs pieux.
Que vos hymnes résonnent
Et des biens qu'ils nous donnent
Rendez grâce aux dieux.
[Les troupes égyptiennes précédées de fanfares défilent devant
le roi. Viennent ensuite les chars de guerre, les insignes,
les images des dieux; une troupe de danseuses apporte les
trésors des vaincus; enfin apparaît Radamès sous un dais,
porté par douze officiers.]
LE ROI [descendant de son trône pour embrasser Radamès]
Sauveur de ton pays, salut à toi!
Ma fille de ses mains royales
Te vient offrir les palmes triomphales.
[Radamès s'incline devant Amneris, qui lui offre la couronne]
Parle! demande-moi
Ce que tu veux; je te le donne.
Il n'est rien en ce jour qu'on n'accorde à tes v½ux,
Je le jure par ma couronne,
J'en jure par les dieux.
RAD. Permets d'abord, ô prince, qu'à tes yeux
Paraissent mes captives.
LES PRÊTRES Rendons grâces aux dieux.
AÏDA [apercevant Amonasro]
Que vois-je!… toi!… mon père!
TOUS Son père!…
AMN. En nos mains!…
AÏDA Prisonnier! toi!…
AMON. [bas] Ne me trahis pas!
LE ROI [à Amonasro]
Approche! Tu serais…
AMON. Son père! un adversaire
Vaincu par vous! En vain j'ai cherché le trépas
Pour mon roi, ma patrie alarmée,
J'ai lutté, j'ai guidé notre armée.
Mais l'effort d'une race opprimée
Fut trahi par le dieu des combats.
Devant moi notre roi magnanime
Expire triste et noble victime.
Si chérir sa patrie est un crime,
C'est le nôtre, et j'attends le trépas.
[au roi, en suppliant]
O grand roi, quand le sort nous accable
Viens nous tendre une main secourable,
La fortune aujourd'hui favorable,
Peut demain vous montrer sa rigueur!
LES CAPTIFS
Décimés et privés d'espérance
Nous venons implorer ta clémence.
Que le ciel d'une telle souffrance
Vous épargne à jamais la rigueur!
RAMPHIS et LES PRÊTRES
Il le faut, que leur race périsse!
De nos dieux que l'arrêt s'accomplisse,
Quand le ciel a dicté leur supplice,
O grand roi, pourrais-tu pardonner?
PEUPLE Ah! calmez cette aveugle colère,
Des vaincus écoutez la prière,
Roi puissant, ta victoire est entière,
Sans pitié pourrais-tu pardonner?
RAD. [regardant Aïda]
Je la vois qui frémit, qui chancelle,
Son effroi me la montre plus belle;
Oui, l'amoour m'a touché de son aile
Et mon c½ur s'abandonne à ses lois.
AMN. [à part, regardant Radamès]
Quels regards il dirige sur elle!
Quelle flamme en ses yeux étincelle!
Faudra-t-il d'une esclave rebelle
Supporter tant d'affronts à la fois!
LE ROI La défaite a puni leur offense
Ne pourrais-je oublier ma vengeance!
C'est le ciel qui le veut! la clémence
Raffermit la puissance des rois.
RAD. O roi!… par le ciel même,
Par l'éclat de ton diadème
Tu juras d'accomplir mes v½ux.
LE ROI Je l'ai promis!
RAD. Eh bien, pour ces captifs soumis
Qu'un sort cruel menace,
Je demande la vie et la liberté.
AMN. Quoi!
Pour tous?
PRÊTRES Mort aux vaincus! point de faiblesse!
PEUPLE Pour ces infortunés!…
RAM. Écoute! o roi!…
[à Radamès]
Et toi, jeune héros, Dieu parle! écoute-moi!…
Pleins de haine et de vaillance,
La vengeance est dans leur c½ur,
Enhardis par ta clémence
Ils reprendront leur fureur!
RAD. Amonasro, leur prince, est tombé sous nos coups,
Pour eux plus d'espérance.
RAM. Au moins que, parmi nous,
Aïda comme otage
Demeure avec son père!
LE ROI Oui! ton conseil est sage.
Mais pour nous de la paix
Il est le meilleur gage.
Radamès! le pays doit tout à tes haut faits,
Sois l'époux d'Amneris! sois l'espoir de ma race!
Sur l'Égypte tous deux vous regnerez un jour.
AMN. [à part]
Viens donc, esclave, viens! si tu l'oses, en face
Me ravir son amour!
LE PEUPLE et LES CAPTIFS
Gloire à l'Égypte, au noble roi
Que le Delta révère,
Isis! que la prière
S'élève jusqu'à toi!…
LES PRÊTRES
Isis, tes fils reconnaissants
Te doivent leur victoire.
Sois bénie, ô toi qui défends
L'Égypte et ses enfants.
RAD. [à part]
Dieux ennemis! ah! dans ce jour
Tout espoir m'abandonne.
Aïda, la couronne
Ne vaut pas ton amour!
AÏDA [à part]
Ah! tout espoir a fui mon c½ur!
A lui puissance et gloire!
A moi la honte et la douleur
D'une fatale ardeur!
AMN. Les dieux hâtèrent son retour,
A peine j'ose y croire
Je vois s'accomplir en ce jour
Tous mes rêves d'amour.
AMON. [à Aida]
Courage! un peuple ne meurt pas:
Renais à l'espérance,
Avant peu la vengeance
Saura guider nos pas.
ACTE TROISIÈME
Les rives du Nil.
Roches de granit parmi lesquelles croissent des palmiers. —
Sur le sommet des roches le temple d'Isis, à demi caché par
les arbres. — Il fait nuit. — La lune resplendit.
CH¼UR O toi, l'épouse d'Osiris, [dans le temple]
O toi, sa tendre mère,
Qui de l'amour, aux c½urs épris
Dévoiles le mystère,
Écoute ma prière,
Toute puissante Isis.
[D'une barque qui s'arrête, on voit descendre Amneris,
Ramphis, quelques femmes voilées et des gardes]
RAM. Viens implorer Isis, l'heure s'avance! [à Amneris]
L'heure d'hymen!
De la déesse invoquons la puissance,
Aucun secret humain
N'échappe à sa science
Et l'avenir lointain
Et s'éclaire et rayonne!
AMN. Je la prierai que Radamès me donne
Tout son amour,
Comme mon âme est à lui tout entière!
RAM. Suis-moi, nous prierons jusqu'au jour.
Je t'accompagne. [Ils entrent dans le temple.]
CH¼UR [dans le temple] Exauce ma prière,
Toute-puissante Isis,
O toi, l'épouse d'Osiris,
O toi, sa tendre mère.
AÏDA [couverte d'un voile, s'avance avec précaution]
Radamès va venir. Que doit-il m'annoncer?
Je tremble! Ah! si tu viens pour prononcer
Cruel, l'adieu suprême,
Les flots du Nil rapide, pour jamais
M'offre la tombe et la paix,
Et l'oubli de moi-même.
O mon pays, je ne dois plus te voir!
O ciel d'azur, ô rives parfumées!
Adieu grand bois où je venais m'asseoir!
De mon enfance, ô campagnes aimées,
O mon pays, je ne dois plus te voir!
O frais vallons, grands bois où dans un rêve,
Mon c½ur s'était bercé d'un tendre espoir,
Quand de l'amour le songe heureux s'achève,
O mon pays, je ne dois plus te voir!
Aïda est plongée dans sa douleur — Elle entend marcher et se
lève croyant voir Radamès. Elle aperçoit Amonasro.
Amonasro — Aida.
AÏDA Ciel! mon père!
AMON. Aïda, le moment est suprême!
Rien n'échappe à mes yeux.
Ton c½ur brûle d'amour pour Radamès! Il t'aime,
Tu l'attends en ces lieux!
Des Pharaons la fille est ta rivale;
Race infâme, abhorrée, à tous les miens fatale!
AÏDA Je suis en leur pouvoir, moi, la fille d'un roi!
AMON. En leur pouvoir? non, la vengeance
Est prochaine, crois-moi!
Oui, tu vaincras ta rivale! Puissance,
Patrie, amour, tout est à toi!
Tu reverras cette terre bénie,
Nos frais vallons, les temples de nos dieux.
AÏDA Je reverrai cette terre bénie,
Nos frais vallons, les temples de nos dieux.
AMON. Heureuse épouse à ton époux unie,
Vôtre bonheur surpassera vos v½ux.
AÏDA Pour un seul jour jouir de cette ivresse
Un jour, une heure, et puis après mourir!
AMON. Souviens-toi bien de ces jours de détresse
Où l'ennemi vint tout anéantir…
Puis il partit emmenant ses captives:
Femmes, vieillards, enfants, tout a péri.
AÏDA Je crois entendre encor leurs voix plaintives
O souvenirs dont mon c½ur est meurtri:
De jours meilleurs, puisse après tant d'alarmes,
Puisse briller l'aurore à nos regards.
AMON. Déjà notre peuple est en armes,
Nous les vaincrons et sans retards
Il me reste à connaître
Par quel chemin l'ennemi doit paraître.
AÏDA Qui saura leurs secrets?
AMON. Qui donc? toi-même!…
AÏDA Moi!
AMON. Radamès va venir. Il t'aime!
Il conduit leurs soldats… tu comprends…
AÏDA Quel blasphème!
Que me conseilles-tu! non! non! jamais!
AMON. [avec une impétuosité sauvage]
Sortez de vos tentes,
Hordes triomphantes,
De ruines fumantes
Couvrez la cité!
Semez au passage
L'effroi, le carnage,
Que dans votre rage
Tout soit dévasté!
AÏDA Ah! pitié mon père!
AMON. Toi! ma fille?… arrière!
Vois donc rouler ces flots sanglants
Au sein de nos murailles
Les morts se lèvent frémissants,
Privés de funérailles.
Entends vers toi monter leurs cris:
C'est toi qui nous trahis!
AÏDA Pitié! pitié, mon père!
AMON. Un spectre courroucé
dans l'ombre suit tes pas,
Tremble! le vois-tu bien!…
il tend vers toi les bras.
AÏDA Non! grâce!…
AMON. C'est ta mère
Qui te maudit!…
AÏDA Non! non!… grâce! pitié, mon père,
AMON. Toi, ma fille!… non! non!…
Des Pharaons tu n'est que l'esclave!…
AÏDA Pardon!
Grâce, mon père, ah! je t'implore!
Sans me maudire écoute-moi.
Non! ta fille n'est pas esclave! Elle est encore
Digne de toi!
AMON. Songe qu'un peuple entier dans sa furie
Grâce à toi seule triomphera!…
AÏDA Quel sacrifice! ô ma patrie!…
AMON. Courage! il vient! moi, je suis là!
[il se cache parmi les palmiers]
Aïda — Radamès.
RAD. [avec transport]
Je te revois enfin, chère âme!…
AÏDA Qui t'amène?
Qu'espères-tu? va-t-en!
RAD. L'amour m'enchaîne…
L'amour vers toi me guide!
AÏDA Un autre amour t'attend.
L'autel est prêt, la main d'Amneris…
RAD. Dieu m'entend!
C'est toi que j'aime et d'une flamme pure!
J'en fais serment, je veux vivre pour toi.
AÏDA Garde-toi bien d'être parjure!
Pourrais-je aimer qui trahirait sa foi?
RAD. Tu douterais de mon amour!
AÏDA Je doute!
De te soustraire aux projets d'Amneris;
Aux v½ux du roi, des ministres d'Isis…
Aux v½ux de tout un peuple!…
RAD. Eh bien… écoute!…
Déjà tout prêt à d'autres guerres
L'Éthiopien vole aux combats!
Déjà les tiens s'élancent sur nos terres…
De nos guerriers je dois guider les pas.
Dans mon triomphe et dans ma gloire
Au roi je veux ouvrir mon c½ur.
A toi l'honneur de ma victoire,
L'amour nous promet le bonheur!
AÏDA Eh quoi! tu braves la fureur
La haine d'Amneris, haine terrible
Comme la foudre, son courroux
Va retomber sur mon père, sur nous!
RAD. Je vous protégerai!
AÏDA Non! non! lutte impossible!
Mais si tu m'aimes, nous aurons
D'autre moyens plus sûr encor.
RAD. Lesquels?
AÏDA Fuyons!
RAD. Qu'entends-je!…
AÏDA Ah! viens! fuyons loin d'un désert stérile!
Là-bas, mon doux pays nous offre un sûr asile.
Là, parmi les bois tout en fleurs,
Nous oublirons sans crainte,
Dans une extase sainte,
La terre et ses douleurs!
RAD. [avec transport]
Sur la terre étrangère
Il faudrait fuir tous deux!…
Fuire l'Égypte si chère,
Les temples de nos dieux!…
Cette cité riante,
Berceau de nos amours,
De ma gloire naissante
La quitter pour toujours!…
AÏDA Viens! l'amour comblera les v½ux
De nos âmes sincères!
Dans d'autres sanctuaries,
Servons les mêmes dieux.
Fuyons!…
RAD. [hésitant]
Chère Aïda!…
AÏDA Viens! ah! si tu m'aimais…
RAD. Que dis-tu?
AÏDA Non!
RAD. Quel mortel, quel dieux même
Aima jamais de cet amour extrême…
AÏDA Amneris à l'autel t'attend.
RAD. Non! non! jamais!
AÏDA Jamais, dis-tu! dès lors à sa colère
Tu me livres avec mon père!
RAD. Oh! non! fuyons! c'est pour toi que je tremble…
Au désert fuyons ensemble.
C'est l'amour qui nous rassemble
Et nous ouvre d'autres cieux!
Nous aurons, ô ma maîtresse,
Pour témoins de notre ivresse
La nature enchanteresse
Et les astres radieux!
AÏDA Viens! suis-moi vers la contrée
En tout temps de fleurs parée,
Où notre âme est enivrée
De parfums délicieux!
Pour témoins de ma tendresse
Nous aurons dans notre ivresse
La nature enchanteresse
Et les astres radieux.
TOUS DEUX Viens! fuyons avant l'aurore
Les dangers de cette cour;
Viens! je t'aime, je t'adore…
Notre guide, c'est l'amour!
[Ils vont pour partir, Aïda s'arrête subitement.]
AÏDA Mais, dis-moi, par quel chemin
Pouvons-nous éviter les cohortes fidèles?
RAD. Le chemin désigné pour frapper les rebelles
Sera desert jusqu'à demain.
AÏDA Et quelle est cette route?
RAD. Le col de Napata.
Les mêmes, Amonasro, paraissant.
AMON. Le col de Napata!
Là vous verrez les miens!
RAD. Qui nous écoute?
AMON. Le père d'Aïda
Et le roi d'Éthiopie.
RAD. Eh quoi! Qu'oses-tu dire!…
Amonasro! toi!… toi! le roi!…
Dieu! qu'ai-je dit! ce n'est pas vrai! c'est un délire…
AÏDA Dans mon amour n'as-tu pas foi?
AMON. Qu'Aïda t'appartienne!
AÏDA Ma couronne est la tienne!
AMON. Son amour t'a fait roi!
RAD. O honte ineffaçable!
Je livre mon pays!
AÏDA Calme-toi!
AMON. Tu n'es pas coupable,
Car Dieu lui-même l'a permis:
Viens! mes amis sur l'autre bord
M'attendent au passage.
L'amour sur ce rivage
Embellira ton sort!
Les Mêmes, Amneris, puis Ramphis, les Prêtres, les Gardes.
AMON. [à Radamès] Viens! viens!
AMN. [sortant du temple] O traître!
AÏDA Dieux! c'est elle!
AMON. Ah! tu viens déjouer mes projets…
[S'approchant d'elle un poignard à la main]
Meurs!
RAD. [le retenant] Rebelle!
Arrête.
AMON. O rage!
RAM. Hôlà! gardes! holà!
RAD. [à Aïda et Amonasro]
Courez! fuyez!…
AMON. [entraînant Aïda]
Viens, ô ma fille.
RAM. [au chef des gardes] Va!
Cours vite!
RAD. [à Ramphis] En ton pouvoir, ô prêtre, me voilà.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE PREMIÈRE
Une salle dans le palais du roi.
A gauche, une galerie — Au fond, un vaste portique conduisant
à la crypte où se rend les arrêts. — A droite, galerie
conduisant à la prison de Radamès.
Amneris.
Ma rivale m'échappe, elle est sauvée.
Les prêtres vont venir et Radamès attend
La peine aux traîtres réservée.
Un traître! il ne l'est pas. Pourtant
Des secrets de l'État gardien infidèle,
Il voulait fuir! fuir avec elle.
Ah! pour tous ces traîtres, la mort!
Ah! qu'ai-je dit! je l'aime, hélas! je l'aime encore!
Pouvoir fatal! l'amour est le plus fort
Dans ce c½ur qu'il dévore!…
S'il pouvait m'aimer!… je veux le sauver!… mais
Comment! qu'il vienne! — Garde, amène Radamès.
Amneris — Radamès.
Radamès paraît, amené par les gardes.
AMN. Pour rendre ta sentence, on va bientôt t'entendre.
Parle! et d'un si grand crime à toi de te défendre.
Repousse tout soupçon,
J'implorerai mon père,
Je serai messagère
De grâce et de pardon!
RAD. Ne crois pas qu'on m'entende implorer leur clémence
C'est le ciel que j'atteste, il sait mon innocence
J'écarte avec horreur
Tout ombre de parjure,
Mon âme est toujours pure
Et j'ai gardé l'honneur!
AMN. Défends-toi donc! parle!
RAD. Non!
AMN. Tu mourras!
RAD. Je hais la vie, et toute joie
S'est tarie en mon c½ur à trop de maux en proie,
Je brave le trépas!
AMN. Qu'entends-je! oh! non! tu vivras!
Tu vivras pour moi qui t'aime!
Déjà de ton trépas mon c½ur
Souffrit l'angoisse extrême!
J'aime! fût-il douleur
Égale à ma souffrance.
Patrie! honneurs! puissance…
J'aurais tout donné pour toi!
RAD. Pour elle n'ai-je pas, moi,
Dans l'ardeur qui m'enivre
N'ai-je donc pas trahi l'honneur et mon pays?
AMN. Ne parle pas d'elle!
RAD. A moi le mépris
Et tu me dis de vivre!…
Mon Aïda chérie
Par toi me fut ravie!
Qu'as-tu fait de sa vie?
Peut-être… ô trahison…
AMN. Toi! m'accuser de sa mort… non!…
Elle vit!…
RAD. Ah! vivante!…
AMN. Dans la poursuite ardente
De nos soldats vainqueurs
Son père est mort!
RAD. Mais elle!…
AMN. Elle s'enfuit! depuis, pas de nouvelles.
RAD. La main des dieux sauveurs
A protegé ses jours! que rien ne lui révèle
Que pour elle je meurs!
AMN. Mais, si je te sauve, promets
De ne plus la revoir!
RAD. Jamais!
AMN. A sa tendresse
Renonce et tu vivras!…
RAD. Jamais!
AMN. Pour la dernière fois… tu l'oubliras!
RAD. Jamais!…
AMN. C'est la mort qui se dresse!
RAD. Je l'attends sans frayeur.
AMN. Qui pourra sauver ta tête
Du supplice qui s'apprête;
Cet amour qu l'on rejette
Deviendra haine et fureur.
RAD. Ah! combien la mort est belle,
Si je dois mourir pour elle!
Sans effroi mon c½ur l'appelle
C'est ma joie et mon bonheur!
AMN. Si tu lasses ma clémence
Je te livre à leur fureur!
RAD. Ah! je brave ta vengeance,
Ta pitié me fait horreur!…
[Radamès sort au milieu des gardes.]
AMN. Ah! je me sens mourir! comment sauver sa vie?
Et j'ai pu le livrer à ces juges cruels:
Ah! sois maudite atroce jalousie!
Hélas! sa mort de regrets éternels
Pour moi sera suivie. [Les prêtres
traversent la galerie pour descendre dans la crypte.]
Ah! voilà du trépas les terribles ministres!
Ah! loin de moi, fuyez spectres sinistres!
Et c'est moi qui le livre à ces juges cruels!…
LES PRÊTRES Dieu tout-puissant, que ta foi nous éclaire!
Fais éclater ta divine lumière
Et par nos voix que parle un Dieu sévère! [Ils passent.]
AMN. Pitié, grands dieux!
Pour ma souffrance,
Qu'à tous les yeux
Brille son innocence!…
Ah! je succombe à ma douleur immense!
[Radamès, entouré de gardes, suit les prêtres dans la crypte.]
Comment le sauver! triste sort!…
En moi je sens la froide mort!…
[On entend la voix de Ramphis dans la crypte.]
RAM. Radamès, tu livras à l'étranger impie,
Les secrets de notre patrie,
Disculpe-toi!
PRÊ. Disculpe-toi!
RAM. Il se tait! c'est un traitre.
AMN O dieux! en vous j'ai foi!…
Pitié pour lui! pitié pour moi!…
RAM. Radamès! Radamès! tu désertas l'armée
Lorsque la guerre allait être allumée,
Disculpe-toi!
PRÊ. Disculpe-toi!
RAM. Il se tait! c'est un traitre.
AMN O ciel! exauce-moi!
Pitié pour lui! pitié pour moi!…
RAM. Radamès!… tu trahis dans ta lâche infamie
L'honneur et al patrie…
Disculpe-toi!
PRÊ. Disculpe-toi!
RAM. Il se tait! c'est un traitre.
AMN O dieux! je meurs d'effroi.
Pitié pour lui! pitié pour moi!…
PRÊ. A ton sort rien ne peut te soustraire,
Que l'Egypte et le ciel soient vengés!…
Sois vivant englouti dans la terre
Sous l'autel de nos dieux outragés!…
AMN. Lui vivant! le tombeau!… Quoi!… ces prêtres…
C'est du sang qu'il leur faut… justes dieux!…
Voilà donc les ministres des cieux!…
[Les prêtres reparaissent sortant de la crypte.]
RAM. Mort aux traitres!…
AMN. Quel forfait!… quelle aveugle colère!
Etes-vous altérés de son sang:
Outrageant et le ciel et la terre,
Votre arrêt a frappé l'innocent.
RAM. C'est un traitre!… il mourra!…
AMN. L'immoler! quand tu sais que je l'aime,
Que mon c½ur à jamais l'aimera!…
De ce c½ur déchiré l'anathème
Sur vous tous tombera
RAM. C'est un traitre!… il mourra!…
AMN Pitié pour lui!
RAM. La mort! c'est un traitre! il mourra!
[Ramphis et les prêtres s'éloignent.]
AMN. Race impie!… anathème sur vous!
Ah! soyez écrasés par le ciel en courroux!
[Amneris sort désesperée.]
DEUXIÈME TABLEAU
La scène est divisée en deux parties.
La partie supérieure représente l'intérieur du temple de
Vulcan resplendissant d'or et de lumières. La partie
inférieur représente une scrypte; de longues files de
piliers taillés dans e roc se perdentdans l'obscurité.
Radamès, dans la crypte; Aïda
Il est sur les degrés de l'escalier par lequel il est descendu.
Au-dessus deux prêtres scellent la pierre qui ferme l'entrée
du souterrain.
RAD. J'entends sur moi le marbre qui retombe
Oui, c'est ici ma tombe.
Je ne dois plus revoir les cieux,
Je ne dois plus te voir, Aïda!… toi, si chère…
Où donc es-tu? sois donc heureuse sur la terre,
Ignore au moins quel fut mon sort affreux. [Il entend
un soupir et distingue un forme indécise dans l'obscurité.]
Mais qu'entends-je? Est-ce un spectre, un fantôme? je croi
Que c'est un être humain… Ciel! Aïda!…
AÏDA C'est moi…
RAD. Dans ce sépulcre!… toi!…
AÏDA J'avais d'avance
Deviné leur sentence,
Dans ce tombeau pour toi prêt à s'ouvrir
J'ai pénétré furtive, et sous la voûte
Où nul ne nous écoute
Auprès de toi, la mort sera douce!
RAD. Mourir!
Mourir! ô toi si belle!……
Mourir! ô loi cruelle……
Quand pour toi l'existence à peine s'ouvre-t-elle!
Quand l'amour doit charmer ton c½ur!
Dans mon malheur
Quoi! tu devrais me suivre!
Non! tu vivras… car, moi, je t'aime… tu dois vivre.
AÏDA Vois! déjà l'ange de la mort
A déployé son aile,
De la vie éternelle
Il nous montre le port.
Pour nous s'est entr'ouvert le ciel,
Là, toute la douleur cesse,
Là, commence l'ivresse
De l'amour éternel!
[On entend le chant des prêtres réunis dans le temple.]
AÏDA Quel chant lugubre!…
RAD. C'est le chant du sanctuaire…
AÏDA C'est notre hymne de mort?…
RAD. Ne puis-je soulever cette fatale pierre
Et nous délivrer!…
AÏDA Vain effort!
Il n'est pour nous nul espoir dans ce monde…
LES PRÊTRES Ma voix t'implore, ô toi source féconde!…
AÏDA C'est la mort!
RAD. C'est la mort!…
AÏDA — RAD. Adieu, séjour de deuil et de misère,
Rêve joyeux, triste réalité!
Le ciel pour nous s'entr'ouvre, et l'âme fière
Va s'envoler vers l'immortalité.
AMN. [Elle paraît dans le temple, vêtue de deuil et va se
prosterner devant la pierre qui ferme le souterrain]
Ame adorée… Isis la bonne mère
T'ouvre le ciel! repose en paix!
Toi que j'aimais
Repose en paix!
2 Jan 2010