MICHEL CARRÉ

Faust et Marguerite

Acte II

Le Jardin

A droite, au deuxième plan, un pavillon; porte sur le côté avec marches; fenêtre sur le devant faisant face aux spectateurs, et laissant voir tout ce qui se passe dans le pavillon, sous cette fenêtre un banc de pierre; à gauche, un bosquet au premier plan; au deuxième plan massifs et parterre; au fond, un mur, derrière lequel on aperçoit quelques toits; dans ce mur, sur la droite, une porte; au milieu du théâtre, un arbre à côté d'un tertre.

SCÈNE I

Marguerite, seule, assise sur le tertre au pied de l'arbre. Elle file en chantant.

Il était un roi de Thulé
Qui jusqu'à la tombe fidèle,
Eut en souvenir de sa belle,
Une coupe en or ciselé.
Nul trésor n'avait plus de charmes!
Dans les grands jours il s'en serrait,
Et chaque fois qu'il y buvait,
Ses yeux se remplissaient de larmes.
- - - - - - - - - - - - - - - -
Quand il sentit venir la mort,
Étendu sur sa froide couche,
Pour la porter jusqu'à sa bouche,
Sa main fit un suprême effort;
Et puis en l'honneur de sa dame,
Buvant une dernière fois,
La coupe trembla dans ses doigts,
Et doucement il rendit l'âme.
En vérité, je donnerais bien des choses pour savoir quel est ce gentilhomme qui m'a abordée au sortir de l'église!...
Quand il sentit venir la mort...
Comme il avait la mine fière! C'est un étranger assurement, Marthe ne l'avait jamais vu.
Quand il sentit venir...
Marthe qui lui donne trente ans... Elle est folle... je suis sûre qu'il n'en a pas ving-cinq... Mais à quoi vais-je penser! Je ne sais ce que j'ai... je crois que je deviens paresseuse. Travaillons, au lieu de chanter! [Silence.] Comment se fait-il que j'ai tout de suite reconnu en lui un gentilhomme? moi qui ne vois personne! Mais je ne travaille pas!... Marguerite, Marguerite, vous vous ferez gronder. [Se levant.] Aussi, pourquoi Marthe me me laisse-t-elle toute seule! Et Valentin qui n'est plus là!... Tout le monde m'abandonne!... [Silence.] Par exemple, je ne sais où Marthe a été prendre que ce jeune étranger ressemble à mon frère! Ce qui est bien singulier, c'est qu'il soit venu m'offrir son bras! Encore cette pensée... [Se dirigeant vers le pavillon.] Marthe est peut-être de retour. Marthe, ma bonne Marthe!... Non, je n'y veux plus songer! [Elle passe dans sa chambre, en reprenant le commencement de la chanson.]
Il était un roi de Thulé, etc. etc.

SCÈNE II

Méphistophélès, Faust. [Ils entrent par la porte du petit mur, au fond.]

Méphistophélès.
Doucement.

Faust.
C'est ici.

Méphistophélès.
Oui.

Faust.
Enfin!

Méphistophélès.
J'aurais pu, pour abréger le chemin, faire une brèche dans la muraille, ce qui eût été une entrée plus digne d'un conquérant, mais il y avait une porte, un jardinier en avait la clef; je corromps le jardinier, et c'est encore une âme que j'escroque! Il faut songer à ses intérêts.

Faust.
C'est là le pavillon qu'elle habite.

Méphistophélès.
C'est là qu'aujourd'hui ou demain, si vous n'êtes pas un sot, sa bouche si pure balbutiera le premier mot d'amour!

Faust [s'approchant du pavillon].
Comme tout respire, dans cette chambre, un sentiment de calme et d'ordre!

Méphistophélès.
Oui, c'est assez bien épousset'e! [Il écarte son manteau et découvre une cassette qu'il tenait cachée.] Voici l'instant de placer la cassette.

Faust.
Non, éloigne-toi.

Méphistophélès.
Un scrupule!

Faust.
Tu n'en as pas, toi?

Méphistophélès.
J'ai le bras trop fatigué pour cela. [Il change la cassette de bras]

Faust.
Quelle douce existence m'est révélée ici! Jamais une ombre, une pensée mauvaise! mais des journées où les heures s'enlacent comme les fleurs d'une guirlande, et des nuits où le sommeil garde un sourire!

Méphistophélès.
Très-joli! Si nous placion la cassette? [Il la change de bras.]

Faust.
Une femme aimée qui partage toutes vos joies et toutes vos peines!... un enfant frais et rose qui vous tend ses petites mains!... c'est là le bonheur!...

Méphistophélès [allant s'asseoir au pied de l'arbre].
Le bonheur!... oui... la misère, les maladies, l'ennui, le dégoût!... l'héroïne idéale qui s'epaissit et devient commère! l'enfant qui piaille, les médecins et leurs ordonnances; les juleps, les veilles, les sanglots et les cris!... Et la branche de buis bénit à la porte!... Ah! ah! ah!... voilà ce que tu souhaîtes!... Si nous placions la cassette?... [Il se lève.]

Faust.
Non, tais-toi. Depuis tantôt cinq mille ans, tu fais ton métier de tentateur, et tu dois le bien savoir; mais, crois-moi, c'est un rude ennemi qu'une jeune fille armée seulement de son innocence et de sa pudeur!... Celle-ci t'a vaincu, démon, car toute ma science, tout mon orgueil s'humilient devant son innocence, et si elle paraissait, tu me verrais tomber à ses pieds!

Méphistophélès.
Cela valait bien la peine de me faire déterrer ce coffret qui me casse les bras!

Faust.
Reporte-le où tu l'as pris. Je n'en ai que faire!

Méphistophélès [s'éloignant].
Soit. [Revenant sur ses pas.] Ou plutôt, non, je me ravise.

Faust.
Ah!

Méphistophélès.
J'en ferai cadeau à Siébel!

Faust.
A Siébel!

Méphistophélès.
Oui, à ton élève... l'amoureux de Marguerite! tu sais?

Faust.
Hein!

Méphistophélès.
Il ne sera pas si scrupuleux!

Faust.
Comment?

Méphistophélès.
Il l'offrira à sa belle aujourd'hui même.

Faust.
Marguerite ne l'aime pas, lui-même l'a dit!

Méphistophélès [montrant le coffret].
Oui, mais ce petit présent peut changer bien des choses.

Faust.
Oh! tu mens!

Méphistophélès.
C'est ce que nous allons savoir. Voici Siébel!

Faust.
Ici! qu'y vient-il faire?

Méphistophélès.
Il pourrait t'adresser la même question; tenons-nous un peu à l'écart, nous verrons. [Il entraîne Faust dans le bosquet à droite.]

SCÈNE III

Les Mêmes, cachés, Siébel

Siébel [tient à la main un bouquet de fleurs fanées].
Ce damné charlatan m'a jeté un sort, c'est certain!

Méphistophélès [riant].
Pauvre garçon!

Faust.
Chut!...

Siébel.
Dire que je ne pui pas arriver à faire un bouquet à Marguerite. Je cueille des fleurs bien fraîches, et tout à coup... psit! elles se fanent. J'ai dit ça aux camarades, qui m'ont ri au nez. Ils m'ont dit que je serais très-utile pour une collection de botanique, et que de même qu'on nomme des bibliothécaires, on devrait me nommer herbier!... Le fait est que c'est enrageant! Oh! l'affreux bouquet... Présentez donc ça...

Faust.
Ah! ah! ah!

Méphistophélès.
Chut!

Siébel.
Tiens! tiens! bouquet maudit! [Il le foule aux pieds.] Depuis que ce vilain est dans la ville, il s'y passes des choses qui ne sont pas naturelles... C'est le vin qui flambe comme du punch... ce sont les fleurs qui ont la fièvre jaune!... Et ce n'est pas tout: mon maître, le docteur Faust, qui a disparu sans qu'un sache ni par où ni comment...

Faust.
Ah! ah!

Siébel.
Les uns disent: C'était un grand savant; les autres: C'était un sorcier; quant à moi, je l'ai toujours cru un peu fou.

Méphistophélès [à Faust].
Attrape!

Siébel.
Mais j'y songe, ici dans le jardin de Marguerite, les fleurs n'auront peut-être pas été ensorcelées...

Méphistophélès.
Essaye... [Il disparaît avec Faust.]

Siébel.
Je vais m'y prendre avec précaution. [Il marche sur la pointe des pieds.] Oh! cette jolie rose d'abord toute fraîche épanouie! [Il cueille la rose; la rose se fane.] Fanée en une seconde! c'est Satan qui s'en mêle...

Méphistophélès [reparaissant au fond avec Faust].
Ah! ah! ah!

Siébel.
Va-t'en au diable, fleur d'enfer! Pourtant, si j'essayais encore... Je l'ai peut-être prise trop ouverte... Si je cueillais ce bouton naissant... [Le bouton s'effeuille.] Ah! c'est trop fort!... Voilà le bouton effeuillé! Ma foi, j'y renonce!... Marguerite se passera de bouquet ce matin! [Il se dirige vers le pavillon.]

Faust.
Il va dans le pavillon.

Méphistophélès.
Il en a le droit, lui, c'est le fiancé!...

Faust.
Le fiancé!

Siébel [frappant à la porte du pavillon].
Puis-je entrer? [Il pousse la porte.] Elle n'y est pas... Elle y était tout à l'heure, pourtant, car voici son rouet... Si j'avais mon bouquet! Ah! quelle idée!... Le voisin Hermann m'a dit de tremper mes doigts dans l'eau bénite, pour détruire le sortilège! Essayons!... [Il trempe ses doigts dans le bénitier qui est accroché dans la chambre; Méphistophélès se rejette vivement en arrière.]

Faust.
Qu'as-tu donc?

Méphistophélès.
Rien!

Siébel.
Je suis curieux de voir, si je suis désensorcelé; justement voici des fleurs charmantes! [Il se penche à la fenêtre et cueille une ou deux roses.] Elles se fanent... Non, elles restent fraîches! Hermann m'a donné un bon conseil...

Méphistophélès.
Il me le payera!

Siébel [cueillant à droite ou à gauche, par la fenêtre, des fleurs dont il compose un bouquet].
C'est charmant! Quelles belles couleurs! Quels parfums!... [Il place le bouquet dans une vase sur la fenêtre.] Je vais placer là le bouquet, pour que Marguerite ne se doute pas que se suis entré dans le pavillon. [Il sort.] Comme elle va être surprise! Je reviendrai tout à l'heure comme si de rien n'était! -- «Qui? moi! non! -- Comment! -- Tiens! un bouquet!» Si elle veut savoir qui a apporté les fleurs, je le dirai sur les joues!

Faust [faisant un mouvement pour aller vers Siébel].
Le drôle!

Méphistophélès.
Chut!

Siébel.
Je le lui dirai deux fois, trois fois, tant qu'elle voudra!... [Il s'éloigne sur la pointe des pieds par la gauche.]

SCÈNE IV

Faust, Méphistophélès

Faust.
La cassette!

Méphistophélès.
Tu te décides!

Faust.
La cassette!

Méphistophélès.
La voilà...

Faust [lui arrachant la cassette].
Donne donc!

Méphistophélès.
Voilà la guerre allumée entre les fleurs et les pierreries...

Faust.
Les fleurs l'emporteront peut-être.

Méphistophélès.
Cela ne s'est jamais vu...

Faust [plaçant la cassette sur l'appui de la fenêtre].
Je mets la cassette à côté du bouquet.

Méphistophélès.
Le bouquet! donne-le-moi! je n'ai qu'à souffler dessus pour le roussir!

Faust.
Non, je veux qu'elle choisisse.

Méphistophélès.
Son choix sera bientôt fait. Mais je l'entends! elle me rappelle madame Eve! nouveau serpent, cache-toi derrière l'arbre. [Ils se retirent derrieère l'arbre qui est au milieu du théâtre.]

SCÈNE V

Faust et Méphistophélès, dans le jardin, Marguerite dans le pavillon

Marguerite.
Marthe était sortie, je l'ai attendue vainement. Je suis sûre qu'elle aura été raconter aux voisins la scène de ce matin... Elle aime un peu à jaser cette bonne Marthe!..

Faust [à Méphistophélès].
Que dit-elle? j'entends à peine.

Méphistophélès.
J'entends pour deux; le diable a l'oreille fine.

Marguerite [apercevant le bouquet].
Ah! encore un bouquet de ce pauvre Siébel. [Elle prend le bouquet.] Il l'aura apporté pendant que j'étais chez Marthe... Qu'est-ce que c'est que cela!.. une cassette!...

Méphistophélès.
Attention! voilà notre batterie qui se démasque.

Marguerite.
Une cassette charmante! comment se trouve-t-elle ici? qui a pu l'apporter?

Faust [qui veut toujours s'élancer et que Méphistophélès retient].
Oh! Marguerite!..

Méphistophélès.
Pour un serpent vous parlez trop!

Marguerite.
Mais voici le clef! on peut l'ouvrir! Si je l'ouvrais! ah! ce serait peut-être mal...

Faust.
Pourquoi? [Méphistophélès lui met la main sur la bouche.]

Marguerite.
Hein! personne! on aurait dit entendre parler dans le jardin... j'ai peur... donc c'est mal... Ainsi je ne veux pas savoir ce qu'elle contient. [Silence.] Mais qu'est-ce qu'elle peut contenir? et comment elle est arrivée là... sur ma fenêtre... C'est quelque ouvrier chargé de la remettre qui se sera trompé de maison. Oui, évidemment. Ah! ce pauvre garçon, il est peut-être bien en peine maintenant... On va le gronder... on le renverra peut-être... Comment faire?... Il y a sans doute dans l'intérieur une adresse, un nom quelconque... mais alors je suis obligée de l'ouvrir...

Faust.
Elle hésite.

Marguerite.
Je ne puis même pas faire autrement.

Méphistophélès.
Elle a la main dans le pommier!

Marguerite [ouvrant la cassette].
Ah! sainte Vierge! quelle merveille! [Elle laisse tomber le bouquet de Siébel dans le jardin.]

Faust.
Le bouquet!

Méphistophélès.
L'ennemi ets rejeté dans le fossé!..

Marguerite.
Je n'ai encore rien contemplé de pareil... c'est la parure d'une reine... je n'imagine pas à qui elle peut appartenir! j'ai toujours peur qu'on me surprenne!... Pourtant il n'y a pas de mal à regarder... [Elle sort du pavillon en tenant la cassette, et vient s'asseoir sur le tertre.]

Faust.
Elle vient!

Méphistophélès.
Chut!

Marguerite [assise].
Est-ce beau! est-ce beau! Si seulement les pendants d'oreilles étaient à moi! j'ai bien envie de les essayer! [Elle regarde autour d'elle.] Qui le saura? [Elle pose la cassette sur ses genoux.] Justement il y a un miroir aussi. [Elle attache les pendants d'oreille et se regarde.] On est toute autre ainsi! ce n'est plus le même regard, ni le même sourire. Il me semble que si quelqu'un me parlait, j'aurais plus d'esprit pour lui répondre.

Faust.
Elle est adorable ainsi...

Marguerite.
Il me faudrait aussi le bracelet! il semble fait pour moi! [Elle l'attache à son bras.] Oh! c'est comme une main, qui me presse le bras... Dam! tu n'as jamais porté de bracelet, ma pauvre Marguerite... ce n'est pas la parure d'une humble filel comme toi... ni ce riche collier non plus... tu as beau l'admirer... Qu'il y a des femmes heureuses!.. ma foi, tant pis! je l'essaye aussi!.. [Elle passes le collier à son cou.] Comme c'est froid! cela me glace!.. et maintenant on dirait qu'il me brûle!... [Se mirant.] Voyons!.. [Elle rit.] Ah! ah! ah!... un peu plus et j'allais me faire à moi-même une grande révérence... [Marthe paraît dans le pavillon.]

Faust.
Oh! laisse-moi!...

Méphistophélès.
Non, car voici dame Marthe qui entre dans le pavillon...

Faust.
Mais...

Méphistophélès.
Nous reviendrons! j'ai mon projet. [Il entraîne Faust par le fond à gauche.]

SCÈNE VI

Marguerite, Marthe

Marguerite.
Ah! si ce jeune étranger m'avait vue ainsi...

Marthe [étonnée de ne pas trouver Marguerite, s'est penchée à la fenêtre].
Oh! ma fille! qu'est-ce que je vois!

Marguerite.
Ciel! [Elle parte ses mains sur sa poitrine comme pour cacher la parure.]

Marthe [descendant auprès d'elle].
Vous êtes belle comme un astre, mon bijou! Venez donc que je vous contemple!... Ah! Dieu! les magnifiques diamants!... Seigneur, que c'est beau!! D'où vous vient cette riche parure, mon enfant?

Marguerite.
Je ne sais, dame Marthe. J'ai trouvé cette cassette, là, sur le bord de la fenêtre. Elle y aura été apportée par erreur.

Marthe.
Par erreur! Est-ce qu'on met par erreur des diamants dans la chambre d'une jeune et belle fille comme comme vous, ma mignonne?

Marguerite.
Je ne vous comprends pas. Que voulez-vous dire?

Marthe.
Que c'est, ma belle, le cadeau d'un amoureux, d'un riche seigneur qui vous adore!

Marguerite.
Un amoureux, dame Marthe, ô ciel!

Marthe.
Eh bien! êtes-vous folle?

Marguerite.
Aidez-moi vite à ôter tout cela. [Elle essaye de détacher les pendants d'oreilles.]

Marthe.
Qui vous presse?

Marguerite.
Oh! je ne les garderai pas un instant de plus... Mais aidez-moi donc!

Marthe [s'approchant].
J'ai dans l'idée, mon ange, que le cadeau vient de ce jeune étranger de ce matin...

Marguerite.
Ah!... Mais je l'ôterai bien toute seule. Et puis je puis bien les garder un peu pour vous faire plaisir...

Marthe.
Vous êtes belle ainsi!

Marguerite.
Quelle folle idée avez-vous sur ce jeune homme!

Marthe.
Il vous aime, j'en suis sûre, et l'on parlait dans la ville d'un prince de Trébizonde qui voyage incognito...

Marguerite.
Quoi! Marthe, un prince...

Marthe.
Eh! pourquoi non!

Marguerite.
Oh! oui! ces regards si hardis... [Elle ôte précipitamment le bracelet et le collier.]

Marthe.
Que faites-vous?

Marguerite.
Marthe, j'ai mal agi! je ne devais pas toucher à ces bijoux. Emportez-les!... Je ne dois pas les garder!... Je ne le veux pas!...

Marthe.
Hélas!

SCÈNE VII

Les Mêmes, Siébel

Siébel [à la cantonade].
Au secours! à l'aide! au meurtre!

Marguerite.
O ciel! entendez-vous?

Marthe.
C'est la voix de Siébel!

Marguerite.
Un homme qui escalade le mur!

Marthe.
C'est lui!

Siébel [à cheval sur le mur].
Ouf! me voilà sauvé! [Il se laisse tomber à terre.] Je ne suis pas mort!...

Marguerite.
Grand Dieu! seriez-vous blessé?

Siébel.
Non, non! je ne crois pas!... Ah! les vilaines bêtes!...

Marguerite.
Qu'avez-vous?

Marthe.
Que vous est-il arrivé?

Siébel.
C'est encore un tour de ce sorcier maudit!

Marguerite.
Quel sorcier?

Marthe.
Expliquez-vous!

Siébel.
Je suis entouré de visions épouvantables... d'horribles animaux qui s'acharnent après moi... ça a commencé par un petit chien noir... Il tournait autour de moi en juppant... Je n'y faisais pas attention d'abord; mais il faisait des cercles qui se rapprochaient toujours, et il jappait... il jappait!... Tout à coup, il saute sur moi et me mord les mollets!... A bas! à bas!... Ah! bien oui! il mordait de plus belle; moi je me sauve!... il me poursuit... bon! je tombe dans un guêpier... des guêpes grosses comme le poing! j'en avais dans les cheveux, dans les habits, sur les mains, sur le nez; et elles bourdonnaient, et elles piquaient, et le chien jappait et mordait! Et moi je courrais!... Je passe près de l'église... Tout à coup sort du clocher une nuée d'oiseaux noirs qui se mettent de la partie en me chassant à grands coups d'ailes, et l'air était plein de démons qui ricannaient!... Tenez, les entendez-vous derrière le mur?

Marguerite.
Remettez-vous, Siébel, je n'entends rien.

Siébel.
Quoi! vous n'entendez pas!... Cet affreux sorcier, il me persécute partout!... Je ne suis plus sûr ni de ce que je vois, ni de ce que j'entends!... Tiens, qu'est-ce que c'est que cette cassette et ces bijoux?

Marthe [prévenant Marguerite qui va parler].
Une cassette! des bijoux!

Siébel.
Quoi! est-ce qu'il n'y a pas là une cassette et des colliers, des bracelets...

Marthe [riant].
Ah! ah! ah!

Siébel.
C'est trop fort! je la vois comme je vous vois!

Marthe [riant].
Ah! ah! ah!

Siébel.
Je vous décrirais les bijouz un à un.

Marthe [riant].
Ah! ah! ah!

Siébel.
Oui, riez! c'est bien mal à vous! Marguerite ne rit pas, eslle!

Marguerite.
Je ne ris pas, Siébel, parce qu'il faut en effet que vous ayiez l'esprit malade pour douter de vos propres yeux... Ne voyez-vous pas que c'est bien là une véritable cassette et de véritables bijoux?

Marthe [précipitamment].
Que j'avais apporté à Marguerite pour les lui faire admirer!...

Marguerite.
Oui, Siébel! [A part.] Comme je mens déjà! [Haut.] Et vous allez, dame Marthe, les remettre entre les mains de celui à qui ils appartiennent.

Marthe [à demi-voix].
Oh! pour cela, rien ne presse! [Haut.] A tout à l'heure, ma mignonne! Monsieur Siébel! [Elle lui fait une grande révérance.] Le chien noir, les guêpes, les hannetons!... ah! ah! ah!

Siébel.
Vous riez bien, dame Marthe, veuve Swherhein. [Il appuie sur le mot veuve.]

Marthe.
Comme il dit cela... Est-ce qu'il saurait... [Elle entre dans le pavillon.]

SCÈNE VIII

Marguerite, Siébel

Siébel.
Cette dame Marthe a de singulières façons, Marguerite, et je n'aime pas beaucoup sa compagnie pour vous... Ah! plût à Dieu que ce bon Valentin fût ici pour vous proteger!

Marguerite.
Moi!... Quel est donc le danger que je cours?

Siébel.
Ces deux hommes que je viens de voir rôder autour de votre maison...

Marguerite.
Quels hommes?

Siébel.
L'un deux est un homme qui, pour sûr, se mêle de sorcellerie... les fleurs, le chien noir... [Il regarde avec effroi autour de lui.]

Marguerite [plaçant son doigt sur son front].
Ah! Siébel!

Siébel.
L'autre vous aime, et vous êtes bien seule ici, Marguerite.

Marguerite.
Oh! j'ai Marthe pour me défendre!

Siébel.
Marthe!... Tenez, Marguerite, il faut que je parle, c'est plus fort que moi! Marthe vous a trompée! Elle se dit veuve, et savez-vous ce que j'ai appris aujourd'hui même?... Son mari est encore vivant!...

Marguerite.
Oh! tant mieux!... Qu'elle sera contente!

Siébel.
Bon! Elle l'a rendu si malheureux, qu'un beau jour il est parti, et on ne l'a plus revu... et depuis ce temps, Marthe se fait passait pour veuve.

Marguerite.
Oh! que m'apprenez-vous!

Siébel.
Et peut-être elle s'entend avec le Siegneur! Tenez, l'histoire des bijoux me paraît louche.

Marguerite.
Mais, Siébel, que faire?

Siébel.
Venir chez ma mère, qui habite une petite maison dans le faubourg. Vous serez comme sa fille.

Marguerite.
Peut-être avez vous raison, Siébel...

Siébel.
Je viendrai vous prendre à la tombée de la nuit... nous sortirons par là. [Il désigne la porte du jardin.]

Marguerite.
Oui... revenez... peut-être... Revenez toujours, Siébel!

Siébel.
Chut! car voici Marthe! Mais à qui en a-t-elle avec ses révérences?

SCÈNE IX

Marguerite, Siébel, Marthe, Méphistophélès, Faust

[Marthe entre à reculons et en faisant une révérence. Elle continue à s'avancer à reculons et fait une seconde révérence. Méphistophélès entre et répond par une révérence jusqu'à terre à toutes celles de Marthe. Faust le suit]

Siébel [pendant les saluts].
Encore cet homme! [Il se sauve dans le bosquet à gauche.]

Marguerite [à part, avec émotion, apercevant Faust].
C'est lui!

Marthe [après une révérence].
Seigneurs...

Méphistophélès.
Madame Marthe Swherhein!

Marthe.
Votre servante, seigneurs.

Méphistophélès.
Nous nous reverrons, madame, dans un autre moment. Vous avez une visite de distinction. Pardonnez la liberté qu nous avons prise.

Marthe [à demi-voix, à Marguerite, qu'elle prend à l'écart].
Figure-toi, ma mignonne, que ces seigneurs te prennent pour une demoiselle de qualité!

Faust [à Méphistophélès].
Éloigne la vielle et le fiancé qui est caché là. [Il montre le bosquet.]

Méphistophélès.
Éloigner le fiancé, ce n'est rien... mais la vieille c'est du dévouement!

Marguerite.
Messieurs, vous vous trompez, je ne suis qu'une pauvre jeune fille. [Elle fait un mouvement pour se retirer.]

Faust.
Ah! demeurez, de grâce!

Marguerite [confuse].
Monsieur...

Siébel [dans le bosquet].
Il lui parle.

Méphistophélès.
Tel que vous me voyez, mesdames, j'ai beaucoup couru le monde. Pour le moment, j'arrive de Ferrare...

Marthe.
De Ferrare?...

Méphistophélès.
Et je vous apporte des nouvelles...

Marthe [précipitamment et à voix basse].
Chut! [Haut.] Ah! de Ferrare!... je n'y connais personne au monde.

Faust [à Marguerite].
Le seigneur Méphistophélès, mon ami, a des choses particulières à dire à madame Marthe. Si vous daignez accepter mon bras... j'ai un pardon à vous demander.

Marguerite.
Un pardon... [Ils s'éloignent.]

Siébel.
Eh bien! c'est cela!

Marthe [à Méphistophélès].
Vous vouliez parler de mon mari! Tout le monde ici le croit mort! le monstre!

Méphistophélès.
Hélas! madame, on ne se trompe pas... c'est la fâcheuse nouvelle que j'avais à vous apprendre!

Marthe.
Ah! miséricorde!

Méphistophélès [la recevant dans ses bras].
Eh bien! eh bien! elle s'évanouit!

Marthe [se remettant tout à coup].
Et ne m'apportez-vous rien de lui?

Méphistophélès.
Si fait! sa bénédiction!

Marthe.
Quoi! et c'est là tout! le vaurien! le joueur! le coureur!

Méphistophélès.
Hélas! madame, qu'attendre d'un homme qui a méconnu vos charmes?

Marthe.
Ah! comme il s'exprime! Mais donnez-moi donc quelques détails, car lorsqu'on est veuve, on est bien aise, au besoin, d'en pouvoir fournir la preuve. Si nous nous promenions un peu?

Méphistophélès [à part].
Nous y voici!

Marthe [à part].
Il est encore bien, ce vieux sec. [Ils s'éloignent.]

Siébel [dans le bosquet].
Que peuvent-ils dire là-bas? Ah! les voici qui reviennent! [Marguerite et Faust reparaissent à droite.]

Marguerite.
Ainsi, vous n'êtes pas prince?

Faust.
Marguerite, je ne suis qu'un malheureux qui souffre loin de vous.

Marguerite.
Oh! monsieur, vous souffrez?...

Faust.
Depuis le moment où je vous ai vue, je me meurs d'amour pour vous!...

Marguerite.
Pour moi?...

Siébel [passant derrière l'arbre].
Je n'entends rien!

Faust.
Et si je n'avais eu l'espérance de vous revoir, éperdu de douleur, las de la vie, j'étais résolu à en finir...

Marguerite.
Ah! cher seigneur, vous vous seriez damné!

Faust.
Mais vous pouvez me sauver, arguerite, et vous seule avez ce pouvoir!

Marguerite.
Si je le puis, je le ferai assurément! [Ils disparaissent à gauche.]

Siébel [se cachant dans le pavillon].
Ah! perfide Marguerite!

Marthe [reparaissant au fond avec Méphistophélès].
Me remarier! ah! vous aimez à badiner, seigneur. Faire une pareille folie! Ainsi, vous voyagez toujours?

Méphistophélès.
J'ai commerce avec tout le genre humain.

Marthe.
C'est bon dans la jeunesse. Mais il vient un certain âge où l'on a besoin de soins et d'affection. On se trouve bien seul!

Méphistophélès.
Ah! que dites-vous?

Marthe.
Il faut songer à vous pourvoir! Je vois bien que vous n'avez jamais trouvé un coeur qui comprît votre coeur! Et vous avez besoin de tendresse, d'amour... Vous étiez né pour le mariage.

Méphistophélès.
Hum! hum! au premier abord... Il le semblerait à cause de... [Il porte la main à son front.]

Marthe.
Et qu'est-ce qu'il vous faut! une veuve!

Siébel.
Que peut-il lui dire... je n'y tiens plus... [Il sort du pavillon en marchant sur la pointe des pieds et fait tomber une chaise de jardin.]

Marthe.
Ciel! quoi! Siébel! vous étiez là! vous nous écoutiez! Ah! fi!

Méphistophélès [à Marthe].
Laissez-moi lui dire deux mots et il s'éloignera...

Marthe [à part].
Ce seigneur m'adore! [Méphistophélès s'approche de Siébel, qui recule avec épouvante.]

Siébel.
Je m'en vais, mon Dieu! je m'en vais. [Il recule jusqu'à l'arbre qui est au mileu du théâtre.]

Méphistophélès.
Je vous assure, mon cher, que vous serez mieux là pour nous entendre.

Siébel.
Là?

Méphistophélès.
Oui. [Il le pousse et le fait entrer dans l'arbre.]

Marthe [regardant autour d'elle].
Eh bien!

Méphistophélès.
Oh! c'est un charmant garçon! Il est entré dans mon raisonnement!

Marthe.
Comme il a disparu vite!

Méphistophélès.
Si nous allions un peu sous ces arbres. [Il désigne les massifs de droite.]

Marthe.
O ciel! la nuit vient!..

[Marguerite et Faust reparaissent.]

SCÈNE X

Faust, Marguerite

Faust [à part].
Ils se sont éloignés. [Haut.] Ainsi donc vous m'aviez reconnu tout à l'heur.

Marguerite.
N'avez-vous pas vu que je rougissais?

Faust.
Et m'avez-vous pardonné cette hardiesse étrange que j'ai eue ce matin de vous aborder au sortir de l'église?...

Marguerite.
Ah! je crus en mourir de honte. Et pourtant, chose étrange, je ne vous en voulais pas beaucoup, et j'avais du dépit contre moi de ne pas vous en vouloir davantage!

Faust.
Ange adorable! je veux passer ma vie à tes pieds. [Il la fait asseoir près de lui, au pied de l'arbre.]

Marguerite.
Ah! vous parlez ainsi par bonté d'âme. En quoi mon pauvre entretien et mes manières rustiques pourraient-ils plaîre à un seigneur comme vous?

Faust.
Un seul mot de ta bouche si belle, un seul regard de tes yeux dont la langueur m'enivre, en disant plus à mon âme que toute la science des savants, que tout l'esprit des dames de qualité. [Il lui baisse la main.]

Marguerite.
Que faites-vous! Ah! je me rappelle... vous me parliez de mes premières années... Hélas! j'ai déjà pleuré! J'ai vu cette maison joyeuse, et maintenant elle est déserte... J'avais ma mère qui est au ciel... et puis ma petite soeur, car je ne vous ai pas parlé d'elle. C'était comme mon enfant. J'en prenais soin! Elle était si charmante dans son berceau! Elle s'éveillait comme les oiseaux, en gazouillant. Et puis c'étaient des rires et des joies! Quand elle fut un peu plus grande, nous étions amies, mais elle voulait toujours jouer, et moi, j'essayais de la gronder, mais je ne pouvais pas et je fluissais par jouer comme elle. Elle nous a quittés, cet ange du bon Dieu. Aujourd'hui, seigneur, je n'ai plus que mon frère qui est à la guerre!

Faust.
Chère enfant, je suis seul comme toi sur la terre!..

Marguerite.
Seul aussi!

Faust.
Je n'ai ni parents ni amis... pas un coeur qui s'ouvre pour le mien!

Marguerite.
Pauvre jeune homme!

Faust.
Ma maison que ta beauté et ta jeunesse rempliraient d'enchantement est sombre et déserte!..

Marguerite.
Que dites-vou! moi votre femme!

Faust.
Je dis que le bonheur divin s'offre à moi... qu'il ne faut pas m'ôter cette espérance, car je me tuerais...

Marguerite.
Oh! c'est la seconde fois que vous dites ces affreuses paroles... Vous ne croyez pas en Dieu! à l'église vous n'avez point prié!

Faust.
Oh! je t'aime... je prierai maintenant, je prierai pour toi!... [Il veut lui prendre les mains.]

Marguerite.
Ah!.. seigneur!...

Faust.
Nous sommes seuls... seuls par cette douce soirée où tout parle d'amour! où les parfums enivrent, où la brise fait entendre dans le feuillage comme des baisers étouffés!.. seuls, ma douce Marguerite, comme en réalité nous le sommes sur la terre, où rien n'existe hors de notre amour; seuls en présence de ce Dieu indulgent qui bénit ceux qui s'aiment...

Marguerite.
Il se fait tard... le jour baisse... [Elle se lève.]

Faust.
Oh! pourquoi me quitter déjà! as-tu peur près de moi qui t'aime?

Marguerite.
D'où vient, si vous m'aimez, que votre parole me trouble?... Il me semble que je commets une faute. Cet homme qui est toujours avec vous m'effraye. Oui, j'ai peur...

Faust.
Encore un seul instant, par pitié!..

Siébel [dans l'arbre].
Maudits sorcier!...

Marguerite [se levant affrayée].
On a parlé ici près!...

Faust.
Folle que tu es... tu vois bien qu'il n'y a personne... Marguerite, un seul mot d'espoir...

Marguerite.
Non, laissez-moi... [Elle le quitte et se penche pour cueillir une marguerite.]

Faust.
Pourquoi t'éloigner? Que fais-tu là? un bouquet?

Marguerite.
Oh! mon Dieu, non! une idée, un jeu!

Faust.
Comment?

Marguerite.
N'allez pas rire de moi! D'abord, vous ne saurez rien!

Faust.
Quelles paroles prononces-tu tout bas?

Marguerite [effeuillant la fleur].
Il m'aime... il ne m'aime pas... [Elle continue à voix basse.] Il m'aime... pas...

Faust.
Oh! que tu es belle!

Marguerite.
Il m'aime... pas... [Arrachant la derrière feuille, avec joie.] Ah!... il m'aime!

Faust.
Oui, crois-en cette fleur, fraîche et simple comme toi, et dont tu portes le doux nom!... Oui Marguerite... oui, je t'aime! [Il l'embrasse sur le cou.]

Siébel [dans l'arbre].
Ouf!

Marguerite.
Je vous assure qu'il y a quelqu'un près de nous...

Faust.
Ce n'est rien. [Il va au fond du théâtre.]

Marguerite.
Oh! que j'ai peur!

Faust [du fond du théâtre].
Personne!

Marguerite.
Il revient.. je vais me cacher... où?... Ah!... [Elle se cache dans le bosquet de gauche.]

Faust [revenant].
C'est sans doute le vent dans les branches. Où est-elle?... elle s'est enfuie!...

Marguerite [riant].
Ah! ah! ah!

Faust.
De ce côté, sans doute... [Il court vers le bosquet.]

Marguerite [riant et cherchant à étouffer son rire].
Ah! ah! ah! [Elle se cache derrière l'arbre.]

Faust.
Peut-être dans cette allée!...

Marguerite [se sauvant dans le pavillon].
Ah! ah! ah!

Faust [s'élançant dans le pavillon].
Non... dans le pavillon... personne!...

Marguerite [riant plus fort].
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! [Elle se dirige de nouveau vers le bosquet de gauche.]

Faust [redescendant dans le jardin].
Elle est dans le bosquet! [Il se baisse et arrache au bas du pavillon, une grande trâinée de lierre; puis s'avance à pas de loup pour pénétrer dans le bosquet.]

Marguerite.
Où est-il? je ne l'entends plus! par où est-il passé? Je... ah! [Elle pousse un cri. Faust a enlacé ses bras dans la guirlande de lierre.]

Faust.
Tu ne fuiras plus.

Marguerite.
Laissez-moi! laissez-moi!

Faust.
Ah! cruelle! tu veux m'échapper! mais tu ne saurais plus te défendre, maintenant! [Il l'embrasse à plusieurs reprises.]

Marguerite.
Laissez-moi! laissez-moi! [Elle veut lui échapper.]

Faust [se jetant à ses pieds].
Oh! Marguerite, aie pitié de moi! Marguerite, qu'as-tu à craindre?... vois, je frisonne, ma voix tremble... Ah! je veux être ton époux, ton amant pour l'éternité! Marguerite! je me meurs d'amour! Oh! que tu es belle! vois, je pleure à tes pieds... je te prie à mains jointes...

Marguerite [].
Ne me parlez pas ainsi... vous me faites peur... Il fait sombre! adieu! adieu! [Elle s'échappe, court vers le pavillon et se retournant au moment d'entrer.] Cher seigneur, je t'aime! [Elle rentre et s'enferme. Nuit complète.]

SCÈNE XI

Faust, puis Méphistophélès et Marthe

Faust.
Elle m'aime! O joies du ciel! voluptés inconnues! calme-toi, mon coeur, calme-toi! il semble qu'il va se briser... Mais on vient! qui donc? ah je les avais oubliés.

Marthe [à Méphistophélès].
Seigneur, attendez-moi ici... le temps de prendre quelques bijoux... et je suis à vous. [Elle sort.]

SCÈNE XII

Faust, Méphistophélès

Faust.
Qu'est-ce à dire, Méphistophélès, tu enlèves dame Marthe?

Méphistophélès.
Non pas! c'est elle qui m'enlève.

Faust.
Eh quoi!

Méphistophélès.
Oh! la terrible vieille! un bonnet d'âne au diable, je suis un écolier! Qu'on me coupe les griffes, ce sont des pattes de moineau auprès de ses mains crochues!

Faust.
Mais encore...

Méphistophélès.
Elle a jeté son dévolu sur moi, comme mari! pas moyen de lui échapper... Mais j'ai un caractère affreux; je les aime ainsi. Mais je pars ce soir, je vous suis!

Faust [riant].
Ah! ah! ah!

Méphistophélès.
Partons, elle va revenir.

Faust.
Non, moi, je ne pars pas! J'aime! je suis aimé!... Laisse-toi enlever, qu'est-ce que ça te fait?

Méphistophélès.
Non! non! non! non! non! Il est charmant!

Faust.
Par amitié pour moi!

Méphistophélès.
Ce n'est pas dans notre traité; et elle n'aurait qu'à me suivre en enfer!..

Siébel [dans l'arbre].
Chien de sorcier!

Méphistophélès.
Ah! ce pauvre Siébel doit avoir besoin de prendre un peu l'air!... [Il fait des signes magiques autour de l'arbre.]

SCÈNE XIII

Faust, Méphistophélès, Siébel

Siébel [sortant de l'arbre].
Où suis-je?... Que m'est-il arrivé?... Est-ce un rêve?... Il me semble que j'étais dans le creux d'un arbre dont l'écorce se serrait sur moi et m'étouffait. Mais c'est le jardin de Marguerite!... Il faut que j'aie dormi sur ce tertre!... Quel affreux cauchemar! Et pendant ce rêve, je ne faisais qu'entendre des bruits de baisers! Enfin me voilà réveillé, et à temps heureusement, car si je ne me trompe, voici l'heure où Marguerite m'a donné rendez-vous pour venir chez ma mère...

Faust.
Ah! ah!

Siébel [écoutant].
Hein? Rien!... Là elle sera choyée, dorlotée, au lieu qu'ici cette affreuse dame Marthe!... Comme il fait noir! Elle ne vient pas!... Où donc est le pavillon?

Faust.
Ciel! si elle allait le suivre!

Méphistophélès.
Chut!

Siébel.
Mais j'entends marcher...

Faust.
C'est Marthe!

Méphistophélès.
Laissons-les faire!... Le hasard est parfois aussi diable que moi!

SCÈNE XIV

Les Mêmes, Marthe

Marthe.
Que la nuit est obscure!

Siébel.
On vient, c'est bien elle...

Marthe.
J'entends parler par ici.

Siébel.
Est-ce vous?

Marthe.
Oui.

Siébel.
Donnez-moi votre main!

Marthe.
Où êtes-vous?... Ah!

Siébel.
Oh! main charmante! Et que nul autre ne pressera maintenant!

Marthe.
Modérez vos transport.

Siébel.
Venez!

Marthe.
O ciel! où me conduissez-vous? [Ils sortent par la porte du jardin.]

SCÈNE XV

Faust, Méphistophélès

Faust.
Oh! Méphistophélès, merci, car tu m;as donné plus que je ne t'avais demandé... Et maintenant elle est à moi! [Il s'élance vers le pavillon.]

Méphistophélès.
Non! c'est à moi que tu veux dire... Ha! ha! ha!



Main pages: [ Source Text | Opera | Composer | OperaGlass]

Monday, 22-Oct-2001 00:06:41 PDT