ACTE TROISIÈME


Scènes 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12



Une salle de l'Alcazar.

Scène première


Fernand.

FERNAND
(seul, entrant)
Me voici donc près d'elle!
Obscur je l'ai quitté et je reviens vainqueur.
Lorsqu'en sa cour le roi m'appelle,
d'amour, plus que d'orgueil, je sens battre mon c¦ur.
Celle que j'aime en ce palais doit être,
je vais la voir, enfin! et la connaître.
(apercevant le roi, il se retire modestement)
C'est le roi!

Scène deuxième


Fernand, à l'écart; Le Roi, entrant tout pensif sans le voir; don Gaspar suivant le roi.

DON GASPAR
De son sort avez-vous décidé?

LE ROI
(sans l'écouter, se parlant à lui-même)
Aux menaces d'un moine ainsi j'aurai cédé!

DON GASPAR
Le roi se fera-t-il justice?

LE ROI
Que Léonor vienne, et d'Inez, sa complice,
assurez-vous.

Don Gaspar s'incline et sort.

LE ROI
(apercevant Fernand)
C'est toi, viens, mon libérateur!
Ton roi te doit son salut.

FERNAND
Et l'honneur
m'a bien payé.

LE ROI
De ta vaillance
toi-même ici fixe la récompense;
ma parole de roi te l'assure en ce jour.

FERNAND
Sire! Au fond de mon âme,
pauvre soldat, j'aime une noble dame;
je dois tous mes succès, ma gloire à son amour...
accordez-moi sa main.

LE ROI
Je le veux. Quelle est-elle?

FERNAND
(apercevant Léonor qui entre)
Ah! Je l'eusse nommée en disant la plus belle!

LE ROI
(stupéfait)
Léonor !

Scène troisième


Léonor, le Roi et Fernand.

LÉONOR
(frappée de surprise à la vue de Fernand; à part)
Fernand!! Grand Dieu!
Devant lui paraître infâme!

LE ROI
(froidement)
Fernand, de votre amour, madame
vient de me faire ici l'aveu.

LÉONOR
(à part)
Dans ses regards quel sombre feu!

LE ROI
Pour vous, qui vous taisiez... d'un coupable silence
un autre roi peut-être aurait tiré vengeance...
(il s'arrête et reprend plus froidement)
Fernand me demandait à l'instant votre main...

LÉONOR
Que dites-vous?

LE ROI
Et moi... moi, votre souverain,
je la lui donne...

LÉONOR et FERNAND
O ciel!

LE ROI
Vous partirez demain.
(s'adressant à Léonor avec amertume et tristesse)
Pour tant d'amour ne soyez pas ingrate,
lorsqu'il n'aura que vous pour seul bonheur,
quand d'être aimé pour toujours il se flatte,
ne le chassez jamais de votre c¦ur.

LÉONOR et FERNAND
Est-ce une erreur, est-ce un songe qui flatte
l'illusion que caresse mon c¦ur?

LE ROI
Que dans une heure un serment vous enchaîne
à l'autel.

FERNAND
O mon prince, à genoux
laissez-moi vous bénir... tout mon sang est à vous!

LE ROI
(bas, à Léonor)
Et vos serments pour lui, vous les tiendrez sans peine.
Vous vouliez me tromper en courtisane, et moi...
Léonor, je me venge en roi.

Le roi sort, emmenant Fernand.

Scène quatrième


Léonor.

LÉONOR
(seule et tombant dans un fauteuil)
Qui, lui, Fernand, l'époux de Léonor!
L'ai-je bien entendu!
Tout me l'atteste, et mon c¦ur doute encore
de ce bonheur inattendu.
(se levant brusquement)
Moi, l'épouser! Oh! ce serait infâme!
Moi, lui porter en dot mon déshonneur!
Non, non; dût-il me fuir avec horreur,
Il connaîtra la malheureuse femme
qu'il croit digne de son c¦ur.

O mon Fernand, tous les biens de la terre,
pour être à toi mon c¦ur eût tout donné;
mais mon amour, plus pur que la prière,
au désespoir, hélas! est condamné.
Tu sauras tout, et par toi méprisée,
j'aurai souffert tout ce qu'on peut souffrir.
Si ta justice alors est apaisée,
fais-moi mourir, mon Dieu! Fais-moi mourir!

Venez, cruels! Qui vous arrête?
Mon châtiment descend du ciel.
Venez tous, c'est une fête!
De bouquets parez l'autel.
Qu'une tombe aussi s'apprête!
Et jetez un voile noir
sur la triste fiancée
qui, maudite et repoussée,
sera morte avant ce soir.

Scène cinquième


Léonor et Inez.

LÉONOR
Inez, viens.

INEZ
Qu'ai-je appris?... Fernand! Il vous épouse?

LÉONOR
Lui m'épouser!... La fortune jalouse
n'avait pas réservé tant de bonheur pour moi.
Qu'il sache tout avant de m'engager sa foi.
Va... dis-lui que je fus la maîtresse du roi...
après un tel aveu, s'il part, s'il m'abandonne,
je ne me plaindrai pas... mais à mon repentir
comme un Dieu s'il pardonne,
le servir à genoux, l'aimer et le bénir,
sera trop peu. Pour lui je suis prête à mourir.
Dis-lui cela... que du moins par moi-même
il sache tout.
(elle sort)

INEZ
Oui, madame, comptez
sur mon zèle... Je cours sans retard...

Scène sixième


Inez, don Gaspar, entrant par la droite avec la Camerera-mayor.

DON GASPAR (à Inez)
Arrêtez!
Du roi l'ordre suprême
veut qu'à l'instant je m'assure de vous;
madame, il faut nous suivre.

INEZ (troublée)
O ciel, protège-nous.

Don Gaspar conduit Inez jusqu'auprès de la Camerera-mayor, qui l'emmène.

Scène septième


Don Gaspar, toute la cour, puis le Roi et Fernand.

LE CH‘UR
Déjà dans la chapelle
Dont la voûte étincelle,
la voix du prêtre appelle
devant Dieu les époux.
Qu'autour d'eux l'on s'empresse,
et que pour eux sans cesse
brillent gloire et richesse
et le jours les plus doux!

FERNAND
(entrant avec le roi)
Ah! de tant de bonheur mon âme est enivrée.
Rêve accompli, faveur inespérée!
De ces nobles seigneurs je puis marcher l'égal.

LE ROI
(à Fernand)
Pour qu'on sache à la cour combien je vous honore,
vous qui m'avez sauvé, vous le vainqueur du Maure,
comte de Zamora... marquis de Montréal!
(Fernand fait un geste de surprise)
À vous ce titre.
(détachant un collier de chevalerie qu'il porte)
À vous cet ordre encore.

Fernand met un genou en terre, et le Roi lui passe le collier autour du cou.

DON GASPAR
(à voix basse, aux seigneurs qui l'entourent)
Qu'en dites-vous, messieurs?

UN SEIGNEUR
(de même)
Les rois sont généreux.

DON GASPAR
(de même)
C'est payer en honneurs la honte et l'infamie!

UN SEIGNEUR
(de même)
Cet hymen est donc vrai?

DON GASPAR
(de même)
Le prince les marie,
entre eux tout est d'accord, et ce place honteux
doit arrêter les foudres de l'Eglise.
Tenez, c'est Léonor... la nouvelle marquise.

À la vue de Léonor le Roi sort avec douleur.

Scène huitième


Les mêmes excepte le Roi; Léonor entrant pâle, vêtue de blanc et entourée de quelques dames.

LÉONOR
(à part)
Je me soutiens à peine! O justice des cieux!
Que me réservez-vous? Il reçut mon message,
par Inez il sait tout... Je n'ai plus de courage.
(apercevant Fernand qui la contemple avec amour)
O ciel! C'est lui! Vers moi ses yeux
se lèvent sans courroux.

FERNAND
(s'approchant de Léonor)
L'autel est prêt, madame.

LÉONOR
O mon Dieu!

FERNAND
Vous tremblez.

LÉONOR
Oui, de joie!

DON GASPAR
(aux seigneurs qui l'entourent)
Ah! L'infâme!

FERNAND
(à Léonor)
Venez! Appuyez-vous
sur le bras d'un époux.

Fernand sort conduisant Léonor par la main. Les dames et une partie de seigneurs les suivent.

Scène neuvième


Don Gaspar, et un groupe de Seigneurs.

DON GASPAR
Quel marché de bassesse!

LES SEIGNEURS
C'est trop fort! Par ma foi!

DON GASPAR
Épouser la maîtresse...

LES SEIGNEURS
La maîtresse du roi!

DON GASPAR
Venir de sa province...

LES SEIGNEURS
Sans nom, sans biens acquis.

DON GASPAR
Le roi l'a fait marquis...

LES SEIGNEURS
Messieurs, il sera prince!

DON GASPAR
D'Alcantara lui donner le collier
et des trésors...

LES SEIGNEURS
Un rang, de la puissance...

TOUS
De ses vertus et de sa complaisance
il fallait bien payer l'aventurier.

Les seigneurs sortis avec le cortège reparaissent, les autres vont audevant d'eux et semblent leur demander des détails de la cérémonie. Le mariage est fait.
Tous les gentilshommes témoignent leur indignation.

TOUS
Ah! Que du moins notre mépris qu'il brave
à son orgueil vient mettre une entrave,
que nul de nous ne cherche sa faveur,
qu'il reste seul avec son déshonneur!

Scène dixième


Les mêmes; Fernand.

FERNAND
(avec ivresse)
Pour moi du ciel la faveur se déploie.
Ah! Messeigneurs... Ah! Partagez ma joie!
Soyez témoins de mon bonheur.
Elle est à moi cette femme adorée!
Est-il un bien plus rare... oh! dites?

DON GASPAR et LES SEIGNEURS
(froidement)
Oui, l'honneur.

FERNAND
L'honneur! Sa noble loi me fut toujours sacrée,
je l'ai reçu pour dot en mon berceau...
Pas un seul de ces biens, aujourd'hui mon partage,
ne vaut cet héritage.

LES SEIGNEURS
Il en est un pourtant qui vous semble plus beau.

FERNAND
Qu'avez-vous dit? De cette injure
j'aurai raison!... Mais non, j'ai mal compris.
Ah! je vous en conjure,
Prouvez-le-moi... Votre main, mes amis!

TOUS
(retirant leurs mains)
Ce titre... trouvez bon qu'à l'avenir... marquis,
nous ne l'acceptions plus de vous.

FERNAND
Ah! cet outrage,
vous le paîrez.
Il veut du sang.

TOUS
Eh bien, vous en aurez!

FERNAND
Marchons !

Scène onzième


Les mêmes; Balthazar.

BALTHAZAR
Où courez-vous? De cette aveugle rage
Arrêtez les effets, chrétiens! et tremblez tous.
Du ciel sur cet hymen j'apelle le courroux.

FERNAND
(accourant vers Balthazar)
Dieu... Balthazar!

BALTHAZAR
(le serrant dans ses bras)
Fernand!

DON GASPAR (avec ironie)
L'époux de Léonor!

BALTHAZAR
(se dégageant de ses bras et le repoussant)
O ciel!

FERNAND
Qu'ai-je donc fait?

BALTHAZAR
C'est toi qu'on déshonore!

FERNAND
Comment ai- je souillé mon nom? Répondez-moi.

TOUS
En épousant la maîtresse du roi!

FERNAND
(atterré)
La maîtresse du roi!
(éclatant)
Quoi! Léonor!... L'enfer brûle ma tête!

BALTHAZAR
Ignorais-tu?

FERNAND
(avec une fureur croissante)
La maîtresse du roi!
Tout leur sang et le mien!

BALTHAZAR
(regardant au dehors)
Arrête!
Ils se rendent ici.

FERNAND
C'est bien; je les attends.

BALTHAZAR
Fuis !

FERNAND
Oh! Non, je prétends
me venger.

BALTHAZAR
Que vas-tu faire?

FERNAND
Dieu seul le sait, mon père.

TOUS
Quels regards menaçants!

Scène douzième


Les mêmes; le roi, donnant la main à Léonor.

FERNAND
(allant au-devant du roi)
Sire, je vous dois tout, ma fortune et ma vie;
le titre de marquis... ma nouvelle splendeur...
Des dignités... de l'or... Tous les biens qu'on envie;
mais vous êtes, monseigneur,
payé trop chèrement au prix de mon honneur.

LE ROI
O ciel!... De son âme,
dans sa loyauté,
s'indigne et s'enflamme
la noble fierté.
Ah! L'injuste outrage
qui flétrit son roi
rougit mon visage
de honte et d'effroi!

FERNAND
Péris, pacte infâme
qui m'as trop coûté!
Honneur, noble flamme,
rends-moi ma fierté!
J'affronte l'orage,
je connais mes droits
qui brave l'outrage
peut braver les rois.

LE ROI
Ecoutez-moi, Fernand...

FERNAND
J'ai tout appris, altesse...

LÉONOR
(à part)
Il ne savait donc pas...

FERNAND
C'est pour une bassesse
qu'on m'a choisi.

LE ROI (avec colère)
Marquis!

FERNAND
Ce nom n'est pas le mien
et des présents du roi je ne veux garder rien.
(se tournant vers les seigneurs qui l'ont insulté)
Messieurs, rendez-moi votre estime...
Du sort, pauvre victime
Je pars, et n'emporte d'ici
que le nom de mon père...

LÉONOR
(à part, avec égarement)
Inez, où donc est-elle?

DON GASPAR
(à voix basse, à Léonor)
Inez est prisonnière.

LÉONOR
(accablée)
Oh! Tout m'est éclairci.

FERNAND
(détachant de son cou le collier qu'il a reçu du roi)
Ce collier qui paya l'infamie,
je vous le rends.
(il tire son épée)
Cette épée avilie,
qui de nos ennemis naguère était l'effroi,
je la brise... à vos pieds! Car vous êtes le roi.

Je maudis cette alliance,
je maudis l'indigne offense
que sur moi, pour récompense,
vous jetiez avec de l'or.
Roi! Gardons, vous la puissance,
moi l'honneur, mon seul trésor.

LÉONOR
(au roi)
Grâce, ô roi! Pour son offense;
sur moi tombe ta vengeance!
(à Fernand qui la repousse)
Noble c¦ur! De ta souffrance
sur moi pèse le remord;
mais écoute ma défense,
ou bien donne-moi la mort.

LE ROI
Ah! C'est trop de ma clémence
protéger tant d'insolence!
Tremble, ingrat! Car ton offense
fait sur toi planer la mort.
Mais, non... fuis... car ta vengeance
est aussi dans mon remord.

BALTHAZAR
Roi, déjà pour vous commence
du pécheur la chute immense
sur le trône est la souffrance,
sous la pourpre est le remord.
(à Fernand)
Viens, mon fils, dans sa clémence,
dieu peut seul t'ouvrir un port.

DON GASPAR et LE CH‘UR
Déjà de nôtre insolence
sur nous pèse le remord.
Qu'elle est noble, sa vengeance!
Mais je tremble pour son sort.

Fernand sort, suivi de Balthazar; les seigneurs ouvrent respectueusement leur rangs pour le laisser passer, et s'inclinent devant lui.

Acte quatrième


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Monday, 08-Dec-2003 21:34:33 PST