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Le cloître du couvent de Saint-Jacques de Compostelle. A droit, le portique de l'église; en face, une grande croix élevée sur un socle de pierre. Ça et là des tombes et des croix de bois. Le jour naissant éclaire seulement la partie découverte du cloître; les premiers plans sont encore obscurcis par les ombres que projettent les murs de l'église.
LES RELIGIEUX
Frères, creusons l'asile où la douleur s'endort.
Un religieux introduit des pèlerins qui se dirigent vers l'église et s'arrêtent devant le portique où paraît Balthazar.
BALTHAZAR
Les cieux s'emplissent d'étincelles;
vers Dieu montez avec transport,
ch¦ur pur des pénitents fidèles,
assis dans l'ombre de la mort.
Les religieux répètent la prière de Balthazar, puis s'éloignent à travers les arcades du cloître; les pèlerins entrent dans la chapelle. Un seul religieux est resté debout, immobile, la figure cachée dans ses mains, c'est Fernand.
BALTHAZAR
(s'approchant de Fernand)
Dans un instant, mon frère,
un serment éternel
vous arrache à la terre
pour vous lier au ciel.
FERNAND
Quand j'ai quitté le port pour l'orage du monde,
vous me l'aviez bien dit: « Mon fils, tu reviendras ! »
Me voici; je reviens, cherchant la paix profonde
et l'oubli que la mort offre ici dans ses bras.
BALTHAZAR
Du courage, Fernand! lorsque Dieu vous appelle,
ne pensez plus qu'à lui; votre v¦u prononcé
entre le monde et vous est un tombeau placé.
(Balthazar s'éloigne)
FERNAND
Vous me quittez?
BALTHAZAR
Entrez dans la chapelle.
Près d'un novice arrivé cette nuit,
Malade... jeune encor... le devoir me conduit.
FERNAND
(levant les yeux au ciel)
Jeune aussi!
BALTHAZAR
Pauvre fleur par l'orage abattue.
Qui va mourir, peut-être!
FERNAND
Oh! oui, la douleur tue.
Balthazar va prendre les mains de Fernand, comme pour relever son courage, puis il sort.
FERNAND
La maîtresse du roi!... Dans l'abîme creusé,
Sous un piège infernal ma gloire est engloutie,
et de mon triste c¦ur l'espérance est sortie
ainsi que d'un vase brisé.
Ange si pur, que dans un songe
j'ai cru trouver, vous que j'aimais!
Avec l'espoir, triste mensonge,
envolez-vous, et pour jamais!
En moi, pour l'amour d'une femme
de Dieu l'amour avait faibli;
Pitié! je t'ai rendu mon âme,
Pitié! Seigneur, rends-moi l'oubli!
Ange si pur, que dans un songe
j'ai cru trouver, vous que j'aimais!
Avec l'espoir, triste mensonge,
envolez-vous et pour jamais!
BALTHAZAR
Es-tu prêt? viens.
FERNAND
Mon père, à la chapelle
je vous suis.
BALTHAZAR
Viens, mon fils, qu'à toi Dieu se révèle!
Balthazar et Fernand entrent dans la chapelle, les religieux les suivent en silence. Léonor parait sous l'habit de novice; elle se place devant le porche de l'église, cherchant à distinguer les traits des religieux qui passent la tête baissée sous leurs capuchons.
LÉONOR
Fernand! Fernand! Pourrai-je le trouver?
Ce monastère est-il l'asile qu'il habite?
Sous cette robe sainte, ô mon Dieu que j'irrite,
jusques à lui permets-moi d'arriver.
Par la douleur ma force est épuisée,
je vais mourir... oui! merci de ce don!
Prends mon âme brisée,
Mais qu'au moins de Fernand j'emporte le pardon.
LES RELIGIEUX
(dans l'église)
Que du Très-Haut la faveur t'accompagne,
v¦u du fidèle, adorable tribut!
Entendez-vous du haut de la montagne,
la voix de l'ange annonçant le salut?
LÉONOR
Qu'entends-je? C'est un v¦u qui de l'autel s'élève,
une âme que le ciel à cette terre enlève!
FERNAND
(dans l'église)
Je me consacre à te servir, Seigneur!
Viens, que ta grâce illumine mon c¦ur.
LÉONOR
Cette voix! c'est bien lui! lui! perdu pour la terre.
Ange, remonte au ciel! Je fuis ce cloître austère,
mais... je ne puis, la mort glace mon sang.
(elle tombe épuisée au pied de la croix)
FERNAND
(sortant de l'église avec agitation)
Mes v¦ux sont prononcés.... Et malgré moi descend,
dans mon âme inquiète,
une terreur secrète...
J'ai fui loin de l'autel.
LÉONOR
(essayant de se soulever)
Mon Dieu, je souffre... hélas!
J'ai froid.
FERNAND
Qu'entends-je?
(regardant autour de lui)
Sur la terre
un malheureux!
(s'approchant)
Relevez-vous, mon frère.
LÉONOR
C'est lui!
FERNAND
(reculant avec horreur)
Grand Dieu!
LÉONOR
Ne me maudissez pas!
FERNAND
Va-t'en d'ici! de cet asile
tu troublerais la pureté;
laisse la mort froide et tranquille
faire son ¦uvre en liberté.
Dans son palais ton roi t'appelle
pour te parer de honte et d'or.
Son amour te rendra plus belle,
plus belle et plus infâme encor.
LÉONOR
Jusqu'à ce monastère
en priant j'ai marché... les ronces et la pierre
on meurtri mes genoux.
FERNAND
Vous qui m'avez trompé, de moi qu'espérez-vous?
LÉONOR
D'une erreur sur tous deux la peine, hélas! retombe.
J'ai cru qu'Inez pour moi
vous avait tout appris; dans un pardon j'eus foi.
Croyez-moi! l'on ne ment pas au bord de la tombe.
Mon triste aveu ne put jusqu'à vous parvenir
Fernand... faites-moi grâce à mon dernier soupir.
Fernand! imite la clémence
du ciel à qui tu t'es lié.
Tu vois mes pleurs et ma souffrance,
écoute la pitié.
Pour moi qui traîne ici ma honte,
la terre, hélas! n'a plus de prix;
mais que mon âme au ciel remonte
pure au moins de ton mépris.
FERNAND
Ses pleurs, sa voix jadis si chère,
portent le trouble dans mes sens;
sur ton élu, Seigneur, descends!
Arme son c¦ur par la prière.
LÉONOR
Entends ma voix jadis si chère,
vois quel trouble agite mes sens;
et dans la nuit où je descends
ne repousse pas ma prière!
FERNAND
Adieu! laissez-moi fuir.
LÉONOR
Désarme la colère,
Oh! ne me laisse pas mourir dans l'abandon.
Vois mes pleurs, ma misère...
Un seul mot de pardon!
Par le ciel, par ta mère,
par la mort qui m'attend!
FERNAND
Va-t'en, va-t'en!
LÉONOR
Pitié! je t'en conjure
par l'amour d'autrefois!
FERNAND
Pour la pitié quand elle adjure,
tout mon amour se réveille à sa voix.
LÉONOR
Miséricorde à cette heure suprême,
ou sous tes pieds écrase-moi!
(elle se jette à genoux)
FERNAND
Ah! Léonor!
LÉONOR
Grâce!
FERNAND
Relève-toi
Dieu te pardonne.
LÉONOR
Et toi?
FERNAND
Je t'aime!
Viens! je cède éperdu
au transport qui m'enivre;
mon amour t'est rendu,
pour t'aimer je veux vivre.
Viens! j'écoute en mon c¦ur
une voix qui me crie:
dans une autre patrie
va cacher ton bonheur.
LÉONOR
C'est mon rêve perdu
qui rayonne et m'enivre!
Son amour m'est rendu,
mon Dieu, laisse-moi vivre!
(à Fernand)
Abandonne ton c¦ur
a la voix qui te crie:
dans une autre patrie
va chercher le bonheur.
FERNAND
Fuyons ce monastère.
LÉONOR
(avec épouvante)
O ciel! et ton salut!
(on entend le ch¦ur des religieux dans l'église)
LES RELIGIEUX
(dans l'église)
Monte vers Dieu, dégagé de la terre,
v¦u du fidèle, adorable tribut.
LÉONOR
Entends-tu leur prière?
C'est Dieu qui t'éclaire.
FERNAND
A toi j'abandonne mon sort.
LÉONOR
Oh! le remords m'assiège,
songe à tes v¦ux.
FERNAND
Mon amour est plus fort,
Viens! pour te posséder je serai sacrilège.
LÉONOR
(défaillant)
Non, du ciel la faveur
te retient sur l'abîme...
C'est la main du Sauveur
qui t'épargne ton crime.
Moi, j'accepte mon sort...
Fernand, Dieu me protège...
Sois sauvé du sacrilège,
sois sauvé par ma mort!
FERNAND
Viens, fuyons!
LÉONOR
Je ne puis... ma vie est terminée.
FERNAND
Mon Dieu!
LÉONOR
Mais je meurs pardonnée,
Fernand, je te bénis.
Adieu! dans le tombeau nous serons réunis.
(elle meurt)
FERNAND
Au secours! au secours!
(se penchant sur le corps de Léonor inanimée)
C'est ma voix qui t'appelle;
rouvre les yeux, c'est moi.... ton époux! Vain effort!
Au secours! au secours!
FERNAND
(à Balthazar)
Venez, venez... c'est elle!
BALTHAZAR
Silence !
(il s'approche de Léonor et rabaisse le capuchon sur ses cheveux déroulés)
Elle n'est plus!
FERNAND
Ah!
BALTHAZAR
(aux Religieux)
Le novice est mort,
priez pour lui, mes frères.
FERNAND
Et vous prîrez demain pour moi.
LES RELIGIEUX
(tombant à genoux)
Dieu du pardon, que nos prières
portent cette âme jusqu'à toi!