ACTE PREMIER


PREMIER TABLEAU, Scènes 1 | 2
DEUXIÈME TABLEAU, Scènes 3 | 4 | 5 | 6 | 7



PREMIER TABLEAU

L'extrémité d'une des galeries latérales entourant le couvent de Saint-Jacques de Compostelle. A droite on aperçoit, à travers la colonnade de la galerie, les arbres et les tombes du cloître. A gauche, se trouve l'entrée de la chapelle qui renferme les reliques de saint Jacques. Au fond un mur d'enceinte, où s'ouvre une grille.

Scène première


Les Religieux traversent la galerie pour se rendre dans la chapelle; Fernand, sous la robe de novice, et Balthazar, le supérieur, paraissent les derniers.

CH‘UR DES RELIGIEUX
Pieux monastère,
de ton sanctuaire
que notre prière
monte vers les cieux!
Dans cette chapelle,
guidé par ton zèle,
pèlerin fidèle,
viens offrir tes v¦ux.
Frères, allons prier; la cloche nous appelle.

Les moines entrent dans la chapelle: Balthazar va les suivre mais il aperçoit Fernand qui reste immobile absorbé dans ses pensées. Il s'approche de lui.

Scène deuxième


Balthazar et Fernand.

BALTHAZAR
Ne vas-tu pas prier avec eux?

FERNAND
Je ne puis.

BALTHAZAR
Aurais-je de ton c¦ur deviné les ennuis?...
Dieu ne te suffit plus.

FERNAND
Vous dites vrai, mon père;
quand je vais par des v¦ux m'enchaîner sans retour,
je jette malgré moi vers les biens de la terre
un regard de douleur, de regrets et d'amour.

BALTHAZAR
Parle, achève...

FERNAND
A l'autel que saint Jacques protège
et que de pèlerins un peuple immense assiège,
Je priais... j'invoquais le anges radieux.
Quand l'un d'eux tout à coup vint s'offrir à mes yeux
Un ange, une femme inconnue,
à genoux, priait près de moi,
et je me sentais à sa vue
frémir de plaisir et d'effroi.
Ah! Mon père! Qu'elle était belle!
Et contre mon c¦ur sans secours
c'est Dieu que j'implore... et c'est elle,
c'est elle!... que je vois toujours.
Depuis qu'en lui donnant l'eau sainte,
ma main a rencontré sa main,
de ces murs franchissant l'enceinte,
mon c¦ur rêve un autre destin.
A tous mes serments infidèle,
et du ciel cherchant le secours,
c'est Dieu que je prie, et c'est elle
qu'en mon c¦ur je trouve toujours.

BALTHAZAR
Toi, mon fils, ma seule espérance,
l'honneur, le soutien de la foi...
toi qui devais à ma puissance
bientôt succéder après moi!

FERNAND
(baissant la tête)
Mon père... je l'aime.

BALTHAZAR
(avec douleur)
Aimer!... Toi!...
sais-tu que devant la tiare
s'abaisse le sceptre des rois?
Que ma main unit ou sépare?
Que l'Espagne tremble à ma voix?

FERNAND
Mon père, je l'aime.

BALTHAZAR
Et tu crois
au bonheur que promet une terrestre flamme!
Dis, sais-tu quelle est cette femme
Qui triomphe de ta vertu?
Celle à qui tu donnes ton âme...
Son nom, son rang... les connais-tu?

FERNAND
(avec passion)
Non... mais je l'aime.

BALTHAZAR
(levant les mains au ciel)
O ciel! Perdu!

Va-t'en, insensé, téméraire!
Va loin de nous porter tes pas,
et que Dieu, plus que moi sévère,
que Dieu ne te maudisse pas!

FERNAND
Idole si douce et si chère,
ô toi qui vois tous mes combats,
ô toi! Mon seul bien sur la terre,
veille sur moi, guide mes pas.

BALTHAZAR
(Balthazar arrête par la main Fernand, prêt à sortir, et lui dit avec émotion)
La trahison, la perfidie,
ô mon fils, vont flétrir tes jours;
parmi les écueils de la vie,
comprends les dangers que tu cours!
Peut-être, brisé par l'orage,
tu voudras, pauvre naufragé,
regagner en vain le rivage
et le port qui t'ont protégé.

FERNAND
(tombant à genoux)
Bénissez-moi, mon père,
Je pars.

BALTHAZAR
Va-t'en, insensé, téméraire!
Vers nous bientôt tu reviendras.
Dans sa justice ou sa colère,
que Dieu ne te maudisse pas!

FERNAND
Idole si douce et si chère!
O toi qui vois tous mes combats,
sois mon seul bien sur cette terre!
Je pars, je pars, guide mes pas.

Fernand sort par la grille du fond, et, de loin, tend les bras à Balthazar, qui détourne la tête en essuyant une larme, et entre dans la chapelle.


DEUXIÈME TABLEAU

Un site délicieux, sur le rivage de l'Ile de Léon. Des jeunes filles sont groupées sur le bord de la mer et emplissent de fleurs des corbeilles, des esclaves suspendent aux branches des arbres de riches étoffes
pour rendre l'ombrage plus épais; d'autres jeunes filles unissent des danses aux chants de leurs compagnes.

Scène troisième


Inez et Jeunes filles.

LES JEUNES FILLES
Rayons dorés, tiède zéphyre,
de fleurs parez ce doux séjour,
heureux rivage qui respire
la paix, le plaisir et l'amour.

INEZ
Nous que protège sa tendresse,
esclaves, par nos soins discrets,
de notre belle maîtresse
sachons payer les bienfaits.
Silence! Silence!
La mer est belle et l'air est doux.
C'est la nacelle qui s'avance;
voyez, là-bas... la voyez-vous?

Les Jeunes filles s'approchent du rivage et regardent dans le lointain.

INEZ et LES JEUNES FILLES
Doux zéphyr, sois lui fidèle,
pour conduire sa nacelle
aux bords où l'amour l'appelle,
à la voile sois léger;
et ravis sur ton passage,
pour embaumer cette plage,
le parfum qui se dégage
du jasmin, de l'oranger.

Scène quatrième


Les mêmes; Fernand, paraissant sur une barque, entouré de jeunes filles, et portant sur les yeux un voile qu'on lui enlève.

FERNAND
(à la jeune fille qui l'aide à descendre de la barque)
Gentille messagère et nymphe si discrète,
qui chaque jour protégez dans ces lieux
mon arrivée ou ma retraite,
pourquoi voiler ainsi mes yeux?
(les jeunes filles détournent la tête et font signe qu'elles ne peuvent répondre)
Toujours même silence!
(s'approchant d'Inez)
Et pourquoi, je t'en prie,
ta maîtresse si jolie
persiste-t-elle à me cacher
son rang, son nom? Quels sont-ils?

INEZ (souriant)
Impossible
de le savoir.

FERNAND
Je ne puis t'arracher
ce secret; il est donc terrible?

INEZ
C'est celui de la señora.
Je l'aperçois, elle vous répondra.

Léonor entre et fait signe aux jeunes filles de s'éloigner.

Scène cinquième


Fernand et Léonor.

LÉONOR
Mon idole! Dieu t'envoie.
Viens, ah! Viens, que je te voie!
Ta présence fait ma joie
et d'ivresse emplit mon c¦ur.

FERNAND
Pour toi des saints autels j'ai brisé l'esclavage.

LÉONOR
Et depuis lors mon pouvoir protecteur
veilla sur tes destins, et sur ce doux rivage
conduisit en secret tes pas...

FERNAND
Pour mon bonheur!

LÉONOR
Pour ta perte peut-être!

FERNAND
Par pitié, fais-moi connaître
quel péril pour nous peut naître;
de ton c¦ur si je suis maître,
quel malheur craindre ici-bas?

LÉONOR
Ah! De mon sort que ne suis-je maîtresse!

FERNAND
Qui donc es-tu?

LÉONOR
Ne le demande pas.

FERNAND
J'obéis... Mais un mot, un seul!... Si ta tendresse
à la mienne répond, partage mon destin
et du pauvre Fernand daigne accepter la main.

LÉONOR
Je le voudrais... Je ne le puis!

FERNAND
Qu'entends-je,
O destinée étrange!
O sort plein de rigueur!

LÉONOR
(à part)
C'est Dieu... Dieu qui se venge
et qui brise mon c¦ur.
(à Fernand, lui montrant un parchemin)
Songeant à toi plus qu'à moi-même,
chaque jour je voulais te donner cet écrit...
J'hésitais chaque jour...

FERNAND
Pourquoi?

LÉONOR
N'as-tu pas dit
que pour ton c¦ur l'honneur était le bien suprême?

FERNAND
Je l'ai dit.

LÉONOR
J'assurais par là ton avenir...
Mais il t'ordonne...

FERNAND
Eh! Quoi donc?

LÉONOR
De me fuir.

FERNAND
Jamais!

LÉONOR
Il faut m'oublier et partir.

FERNAND
Que moi je t'oublie!
Ne plus te revoir!
T'aimer, c'est ma vie;
sans toi plus d'espoir
mon c¦ur, qui se brise,
sera froid, mon Dieu!
Avant qu'il te dise
ce fatal adieu.
Maudit sur la terre,
hélas! Sous quels cieux
traîner ma misère?
Où puis-je être heureux?

LÉONOR
Adieu! Pars! Oublie
ton rêve et nos v¦ux;
l'amour qui nous lie
nous perdrait tous deux.
Mon âme, qui saigne
de mille douleurs,
se brise et dédaigne
la plainte et les pleurs.
Adieu sur la terre!
Et si jusqu'aux cieux
parvient ma prière,
tu dois être heureux!

Scène sixième


Les mêmes; Inez.

INEZ
(accourant toute tremblante)
Ah! madame, madame.

LÉONOR
Qu'est-ce donc?

INEZ
C'est le roi!

LÉONOR
O! Ciel!

FERNAND
(surpris)
Le roi!

LÉONOR
(à part)
J'ai tressailli d'effroi
jusqu'au fond de mon âme!
(à Inez)
Je te suis.
(à Fernand, lui remettant le parchemin qu'elle lui a montré)
Tiens, lis,
et surtout obéis.

Adieu! Pars, oublie
ton rêve et nos v¦ux;
l'amour qui nous lie
nous perdrait tous deux.
Mon âme, qui saigne
de mille douleurs,
se brise et dédaigne
la plainte et les pleurs.
Adieu sur la terre!
Et si jusqu'aux cieux
parvient ma prière,
tu dois être heureux!

FERNAND
Que moi je t'oublie!
Ne plus te revoir!
T'aimer c'est ma vie;
sans toi plus d'espoir.
Mon c¦ur, qui se brise,
sera froid, mon Dieu!
Avant qu'il te dise
ce fatal adieu.
Maudit sur la terre,
hélas! Sous quels cieux
traîner ma misère?
où puis-je être heureux?

Léonor jette à Fernand un dernier adieu, puis sort avec précipitation.

Scène septième


Fernand et Inez.

FERNAND
(qui a retenu Inez, prête à suivre Léonor)
Celui qui vient la chercher...

INEZ
Oh! Silence!
C'est le roi!

FERNAND
Je sais tout: son rang, sa naissance,
la rapprochent du trône... et moi!
Moi, malheureux, obscur et sans gloire...

INEZ
Prudence!
(elle lui fait signe de se taire et s'enfuit)

Scène huitième
Fernand.

FERNAND
(seul)
Je ne méritais pas son amour et son c¦ur.
(il regarde le parchemin que Léonor lui a remis, et pousse un cri de joie)
O ciel! Elle veut donc que j'en devienne digne!
Oui... ce titre, ce rang et cet honneur insigne!...
Moi... Fernand! Capitaine! Et par elle, ô bonheur!

Oui, ta voix m'inspire,
et sous ton empire,
un double délire
m'exalte en ce jour;
à toi je me livre,
l'espoir va me suivre,
et mon c¦ur s'enivre
de gloire et d'amour.

Adieu donc, doux rivage,
témoin de mon bonheur!
Bientôt sous votre ombrage
je reviendrai vainqueur.

Oui, ta voix m'inspire,
et sous ton empire,
un double délire
m'exalte en ce jour;
à toi je me livre,
l'espoir va me suivre,
et mon c¦ur s'enivre
de gloire et d'amour.

Acte deuxième


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Monday, 08-Dec-2003 21:34:31 PST