ACTE DEUXIÈME



Scènes 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7




Le théâtre représente les hauteurs du Rütli d'où l'on plane sur le lac de Waldstettes ou des Quatre-Cantons. On aperçoit aux bornes de l'horizon la cime des montagnes de Schwitz; au bas est le village de Brunnen. Des sapins touffus qui s'élèvent des deux côtés du théâtre complètent la solitude.

Scène première


Des piqueurs, portant des flambeaux, ouvrent la marche; d'autres dirigent la meute; d'autres arrivent avec des cerfs, des renards et des loups tués; des dames et des seigneurs à cheval, ayant le faucon au poing, et suivis de pages, traversent le théâtre; enfin des chasseurs à pied font une halte, et vident les gourdes dont ils sont munis.

CH‘UR DE CHASSEURS
Quelle sauvage harmonie
Au son des cors se marie!
Le cri du chamois mourant
Se mêle au bruit du torrent.

L'entendre exhaler sa vie,
Est-il un plaisir plus grand?
Des tempêtes la furie
N'a rien de plus enivrant.

CH‘UR DE PÂTRES
(au loin dans les montagnes)
Au sein du lac qui rayonne
Le soleil fuit;
Des monts que la neige couronne
L'éclat s'évanouit.
Du village la cloche sonne,
C'est notre retour qu'elle ordonne.
Voici la nuit!

On voit les pâtres descendre du coteau dans le vallon, et y diriger leurs troupeaux.

CHOEUR DES CHASSEURS
Quel est ce bruit?
Des pâtres la voix monotone
De nouveau nous poursuit;
Du gouverneur le cor résonne,
C'est notre retour qu'il ordonne.
Voici la nuit!
(ils sortent)

Scène deuxième


Mathilde, seule.

MATHILDE
(elle paraît s'être séparée à dessein du gros de la chasse)
Ils s'éloignent enfin; j'ai cru le reconnaître:
Mon c¦ur n'a point trompé mes yeux;
Il a suivi mes pas, il est près de ces lieux.
Je tremble!.. s'il allait paraître!
Quel est ce sentiment profond, mystérieux
Dont je nourris l'ardeur, que je chéris peut-être?
Arnold! Arnold! est-ce bien toi,
Simple habitant de ces campagnes,
L'espoir, l'orgueil de tes montagnes,
Qui charme ma pensée et cause mon effroi?
Ah! que je puisse au moins l'avouer moi-même!
Melcthal, c'est toi que j'aime;
Sans toi j'aurais perdu le jour;
Et ma reconnaissance excuse mon amour.

Romance

Sombre forêt, désert triste et sauvage,
Je vous préfère aux splendeurs des palais:
C'est sur les monts, au séjour de l'orage,
Que mon c¦ur peut renaître à la paix;
Mais l'écho seulement apprendra mes secrets .

Toi, du berger astre doux et timide,
Qui, sur mes pas, viens semant tes reflets,
Ah! sois aussi mon étoile et mon guide!
Comme Arnold tes rayons sont discrets,
Et l'écho seulement redira mes secrets.

Scène troisième


Arnold, Mathilde.
Arnold s'est montré pendant les dernières mesures de la Romance.

ARNOLD
Ma présence pour vous est peut-être un outrage;
Mathilde, mes pas indiscrets
Ont osé jusqu'à vous se frayer un passage.

MATHILDE
On pardonne aisément les torts que l'on partage;
Arnold, je vous attendais.

ARNOLD
Ce mot où votre âme respire,
Je le sens trop, la pitié vous l'inspire;
Vous plaignez mon égarement:
Je vous offense en vous aimant.
Que ma destinée est affreuse!

MATHILDE
La mienne est-elle plus heureuse?

ARNOLD
Il faut parler, il faut, dans ce moment
Si cruel et si doux, si dangereux peut-être,
Que la fille des rois apprenne à me connaître;
J'ose le dire avec un noble orgueil,
Pour vous le Ciel m'avait fait naître.
D'un préjugé fatal j'ai mesuré l'écueil;
Il s'élève entre nous de toute sa puissance;
Je puis le respecter, mais c'est en votre absence.
Mathilde, ordonnez-moi de fuir loin de ces lieux,
D'abandonner ma patrie et mon père,
D'aller mourir sur la terre étrangère,
De choisir pour tombeau des bords inhabités,
Prononcez sur mon sort, dites un mot.

MATHILDE
(tendrement)
Restez.

Duo

Oui, vous l'arrachez à mon âme
Ce secret qu'ont trahi mes yeux;
Je ne puis étouffer ma flamme,
Dût-elle nous perdre tous deux!

ARNOLD
Il est donc sorti de son âme
Ce secret qu'ont trahi ses yeux!
Sa flamme répond à ma flamme,
Dût-elle nous perdre tous deux!
(à Mathilde)
Mais entre nous quelle distance,
Que d'obstacles de toutes parts!

MATHILDE
Ah! ne perdez pas l'espérance;
Tous vous élève à mes regards.

ARNOLD
Doux aveu! ce tendre langage
De plaisir enivre mon c¦ur.

MATHILDE
Je le chéris, tout me présage
Près de lui des jours de bonheur.
(à Arnold)
Retournez aux champs de la gloire,
Volez à de nouveaux exploits:
On s'anoblit par la victoire;
Elle justifîra mon choix.

ARNOLD
Je pars, je cours chercher la gloire,
C'est un tribut que je vous dois:
Puis-je douter de la victoire
Lorsque j'obéis à vois lois?

MATHILDE
Dans celle qui t'aime,
Oui, c'est l'honneur même
Qui dicte sa loi.
Mathilde, constante,
Ira sous la tente
Recevoir ta foi.

ARNOLD
Dans celle que j'aime,
Oui, c'est l'honneur même
Qui dicte sa loi.
Mathilde, constante,
Viendra sous la tente
Recevoir ma foi.

MATHILDE
On vient, séparons-nous.

ARNOLD
Vous reverrai-je encore?

MATHILDE
Oui, demain.

ARNOLD
O bonheur!

MATHILDE
Quand renaîtra l'aurore,
Dans l'antique chapelle, en présence de Dieu
J'entendrai ton dernier adieu.

ARNOLD
Que de bienfaits!

MATHILDE
Je vous quitte, on s'avance.

ARNOLD
Ciel! Walter et Guillaume, ah! fuyez leur présence.

Scène quatrième


Arnold, Guillaume, Walter Furst. (JPEG, 31 kB)

GUILLAUME
Tu n'étais pas seul en ces lieux?

ARNOLD
Eh bien?

GUILLAUME
Nous craignons de troubler un si doux entretien .

ARNOLD
Je ne m'informe pas de vos desseins.

WALTER
Peut-être
Plus qu'un autre dois-tu chercher à les connaître.

GUILLAUME
Non; qu'importe à Melcthal s'il déserte nos rangs,
S'il aspire en secret à servir nos tyrans?

ARNOLD
Qui te l'a dit?

GUILLAUME
Ton trouble, et Mathilde et sa fuite.

ARNOLD
On m'épie, et c'est toi?

GUILLAUME
Moi-même; ta conduite
A jeté le soupçon dans ce c¦ur alarmé.

ARNOLD
Mais si j'aime?

WALTER
Grand Dieu!

ARNOLD
Mais si j'étais aimé,
Tes soupçons?

GUILLAUME
Seraient vrais.

ARNOLD
Mon amour?!

WALTER
Est impie.

ARNOLD
Mathilde?

GUILLAUME
Elle est notre ennemie.

WALTER
Parmi nos oppresseurs elle a reçu la vie.

GUILLAUME et WALTER
Et Melcthal lâchement embrasse ses genoux!

ARNOLD
Mais de quel droit votre aveugle furie?..

GUILLAUME
Nos droits? un mot te les apprendra tous:
Sais-tu bien ce que c'est que d'aimer sa patrie?

ARNOLD
Vous parlez de patrie, il n'en est plus pour nous.
Je quitte ce rivage
Qu'habitent la discorde et la haine et la peur,
Dignes filles de l'esclavage;
Je cours dans les combats reconquérir l'honneur.

GUILLAUME
Quand l'Helvétie est un champ de supplices
Où l'on moissonne nos enfants;
Que de Gesler tes armes soient complices;
Meurs pour nos bourreaux triomphants!

ARNOLD
Si je meurs c'est pour la victoire,
Ce but sourit à ma fierté;
Mais je vivrai, mais je vaincrai; la gloire
Remplace tout, même la liberté.

WALTER
Pour toi, Gesler préludant aux batailles,
D'un vieillard a tranché les jours;
Cette victime attend des funérailles,
Elle a des droits à tes secours.

ARNOLD
Ah! quel affreux mystère!
Un vieillard, dites-vous?

WALTER
Que la Suisse révère.

ARNOLD
Son nom?

WALTER
Je dois le taire.

GUILLAUME
Parler c'est te frapper au c¦ur.

ARNOLD
Mon père!..

WALTER
Oui, ton père, Melcthal, l'honneur de nos hameaux,
Ton père, assassiné par la main des bourreaux!

Trio

ARNOLD
Qu'entends-je? ô crime! hélas! j'expire!
Ses jours qu'ils ont osé proscrire,
Je ne les ai pas défendus!
Mon père, tu m'as dû maudire!
De remords mon c¦ur se déchire.
O ciel! ô ciel! je ne te verrai plus.

GUILLAUME et WALTER
Il chancelle, à peine il respire,
Il frémit, le remords le déchire;
De l'amour tous les n¦uds sont rompus,
Son effroi remplace son délire,
Son malheur le rend à ses vertus.

ARNOLD
Il est donc vrai!

WALTER
J'ai vu le crime.

ARNOLD
Toi?

WALTER
J'ai vu se débattre et tomber la victime.

ARNOLD
Grand Dieu! que faire?

GUILLAUME
Ton devoir.

ARNOLD
Il faut mourir?

GUILLAUME
Il faut vivre.

ARNOLD
Eh bien! contre Gesler servez mon désespoir .
Dans Altdorf voulez-vous me suivre?

GUILLAUME
Modère les transports où ton âme se livre.

WALTER
Reste, et venge à la fois ton père et ton pays.

ARNOLD
Achevez donc!

GUILLAUME
La nuit, à nos desseins propice,
Nous entoure déjà d'une ombre protectrice.
Tu vas voir dans ces lieux, que Gesler croit soumis,
Surgir de tous côtés de généreux amis:
Ils comprendront tes larmes.
Au soc de la charrue ils empruntent des armes
Pour conquérir un digne sort,
Ou l'indépendance ou la mort!

GUILLAUME, ARNOLD et WALTER
Ou l'indépendance ou la mort!
(ils se donnent la main)

Embrasons-nous d'un saint délire!
La liberté pour nous conspire;
Des cieux ton/mon père nous inspire,
Vengeons-le, ne le pleurons plus.
Pour son pays quand il expire,
Son beau destin semble nous dire:
C'était aux palmes du martyre
À couronner tant de vertus!

GUILLAUME
Des profondeurs du bois immense,
Un bruit confus semble sortir.
Écoutons!

ARNOLD
Écoutons!

GUILLAUME
Silence!

WALTER
J'entends de pas nombreux la forêt retentir.

ARNOLD
Le bruit approche...

GUILLAUME
Qui s'avance?

Scène cinquième


Les mêmes, habitants d'Unterwald.

CH‘UR D'UNTERWALD
(à demi-voix)
Amis de la patrie!

GUILLAUME
O bonheur!

ARNOLD
O vengeance!

GUILLAUME, WALTER et ARNOLD
Honneur, honneur à leur présence!

LE CH‘UR
Nous avons su braver, nous avons su franchir
Les périls comme la distance.
Les torrents, les forêts n'ont pu nous retenir;
Notre audace au Rütli nous a fait parvenir
Sous l'escorte de la prudence.

GUILLAUME
Du canton d'Unterwald, ô vous généreux fils,
Ce noble empressement n'a rien qui nous étonne.

WALTER
On saura l'imiter: de nos frères de Schwitz
J'entends la trompe qui résonne;
De tes enfants sois fier, ô mon pays!

Scène sixième


Les mêmes, habitants de Schwitz.

CH‘UR DE SCHWITZ
En ce temps de misère,
Une race étrangère
Épiant nos douleurs,
Nous condamne au mystère.
Que ce bois solitaire
Seul connaisse nos pleurs.

GUILLAUME
(à Arnold et à Walter)
On pardonne la crainte à de si grands malheurs;
Mais croyez-en mon espérance,
Leurs c¦urs répondront à nos c¦urs:
Honneur, honneur à leur présence!

GUILLAUME, ARNOLD, WALTER et LES HABITANTS D'UNTERWALD
Honneur, honneur à leur présence!

WALTER
Du seul canton d'Uri nous regrettons l'absence.

GUILLAUME
Pour dérober la trace de leurs pas,
Pour mieux cacher nos saintes trames,
Non frères, sur les eaux, s'ouvrent avec leurs rames
Un chemin qui ne trahit pas.

WALTER
De prompts effets la promesse est suivie,
N'entends-tu pas?..

GUILLAUME
Qui vient?

Scène septième


Les mêmes, habitants d'Uri.

CHOEUR D'URI
Amis de la patrie!

GUILLAUME
Honneur aux soutiens de nos droits!

TOUS
(moins les habitants d'Uri)
Honneur aux soutiens de nos droits!

CHOEUR D'URI
Guillaume, tu le vois,
Trois peuples à ta voix,
Sont armés de leurs droits
Contre un pouvoir infâme.

Parle, et les fiers accents,
Jaillissant de ton âme,
Soudain en traits de flamme
Embraseront nos sens!

CHOEUR GÉNÉRAL
Guillaume, tu le vois,
Trois peuples à ta voix,
Sont armés de leurs droits
Contre un pouvoir infâme.

Parle, et les fiers accents,
Jaillissant de ton âme,
Soudain en traits de flamme
Embraseront nos sens!

GUILLAUME
(se plaçant au milieu des députés des trois cantons)
L'avalanche roulant du haut de nos montagnes,
Lançant la mort sur nos campagnes,
Renferme dans ses flancs
Des maux moins accablants
Que n'en sème après lui chaque pas des tyrans.
C'est à nous, à notre courage
À purger ce rivage
Des maîtres détestés.

CH‘UR DE SCHWITZ
De la guerre c'est la menace;
Malgré nous la terreur nous glace.

WALTER
Où donc est votre antique audace?
Mille ans nos aïeux indomptés
Ont défendu leurs vieilles libertés;
Est-ce en vous que s'éteint leur race?

CH‘UR DE SCHWITZ
Malgré nous la terreur nous glace.

GUILLAUME
Accoutumés aux maux long-temps soufferts,
Si vous ne sentez plus le fardeau de vos fers,
Songez du moins à vos familles;
Vos pères, vos femmes, vos filles
N'ont plus d'asile en vos foyers.

WALTER
Il n'est plus parmi nous de toits hospitaliers.

GUILLAUME
Amis, contre ce joug infâme
En vain l'humanité réclame;
Nos oppresseurs sont triomphants.
Un esclave n'a point de femme,
Un esclave n'a pas d'enfants.

CH‘UR GÉNÉRAL
Un esclave n'a point de femme,
Un esclave n'a pas d'enfants.
C'est trop souffrir, que faut-il faire?

ARNOLD
(se réveillant tout à coup de l'abattement où il était resté plongé)
Venger le trépas de mon père.

LE CH‘UR
Quoi! ton père?

ARNOLD
Il est mort.

LE CHOEUR
Quel crime était le sien?

ARNOLD
Son crime, hélas! c'est le vôtre et le mien,
Celui de tous! il aimait sa patrie.

LE CH‘UR
O meurtre abominable, impie!

GUILLAUME
Soyons dignes enfin du sang dont nous sortons;
Dans l'ombre et le silence,
Du glaive et de la lance
Armez les trois cantons.

LE CH‘UR
Dans l'ombre et le silence,
Du glaive et de la lance
Armons les trois cantons.

GUILLAUME
Près du lac, quand luiront les signaux de vengeance,
Nous seconderez-vous?

LE CH‘UR
N'en doute pas, oui, tous.

GUILLAUME
Prêts à vaincre?

LE CH‘UR
Oui, tous.

GUILLAUME
Prêts à mourir?

LE CHOEUR
Oui, tous.

GUILLAUME
Que de nos mains les loyales étreintes
Confirment ces promesses saintes!

Serment

CH‘UR GÉNÉRAL
Jurons, jurons par nos dangers,
Par nos malheurs, par nos ancêtres,
Au Dieu des rois et des bergers,
De repousser d'injustes maîtres.

Si parmi nous il est des traîtres,
Que le soleil de son flambeau
Refuse à leurs yeux la lumière,
Le Ciel l'accès à leur prière,
Et la terre un tombeau!

ARNOLD
Voici le jour!

WALTER
Pour nous c'est un signal d'alarmes.

GUILLAUME
De victoire!

WALTER
Quel cri doit y répondre?

ARNOLD
Aux armes!

GUILLAUME et WALTER
Aux armes!

TOUS
Aux armes!

Acte troisième



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